Turandot, la cruelle princesse chinoise de Puccini

Ce n’est pas parce que nous sommes plongés (voire submergés ?) par le quotidien, la nouveauté et les démarches à faire ici qu’il faut renoncer à nous cultiver. Face à notre télé satellite déversant un torrent de niaiseries américaines affreusement pixellisées, un sursaut de lucidité m’a fait sortir le DVD de Turandot que j’avais fourré dans nos valises avant de partir. Vous ne connaissez pas Turandot ? Figurez-vous que moi non plus avant ce projet d’installation en Chine… J’avais un DVD de cet opéra de Puccini chez moi, qui attendait sagement son heure depuis un moment parmi d’autres Opéras de Femmes Fatales (merci à Télérama pour cette belle sélection et à ma maman pour ce cadeau). Et allez savoir pourquoi, ça ne me disait rien. Un opéra avec une cruelle princesse chinoise, ce n’était pas le moment…

Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis (ou d’envie) et depuis quelques mois Turandot est devenu l’objet de ma curiosité. Je n’ai pas eu le temps de regarder avant notre départ, du coup au lieu de finir dans les cartons avec nos autres DVD il s’est retrouvé serré entre mes petites culottes et mes t-shirts pour que je puisse le regarder rapidement une fois ici. Moins d’une semaine après notre arrivée, mission accomplie : j’ai regardé Turandot. Et comme j’ai été bête de ne pas le regarder avant ! D’abord c’est un opéra magnifique, avec une trame dramatique comme je les aime : vraiment très dramatique (une vraie méchante impitoyable, un prince amoureux, de la cruauté, des décapitations, du sexe (bon, très subtilement suggéré mais tout de même c’est de ça qu’il s’agit), bref tout ce qu’il faut pour un vrai bon opéra). Musicalement c’est une oeuvre à mon sens très réussie, très aboutie, alliant à merveille l’opéra italien et des accents de musicalité chinoisante (j’ai adoré les solos du mandarin !). Cette oeuvre pouvait d’ailleurs difficilement être plus aboutie puisque c’est la dernière de Puccini, qui est mort sans avoir pu la terminer complètement…

Je l’ai regardé dans l’excellente mise en scène du San Fransisco Opera (en vente chez tous les bons discaires ou DVDaires), et je me suis régalée du début à la fin. Pour vous mettre l’eau à la bouche, écoutez donc ce nessum dorma que vous ne manquerez pas de reconnaître :

Alors, parlons un peu de cette mystérieuse princesse Turandot. Vivant à Pékin auprès de son père l’Empereur, dans une Chine médiévale imaginaire et teintée de l’imagerie d’une Europe encore coloniale et orientaliste, Turandot est vierge, magnifique et cruelle avec ses prétendants. Ceux qui souhaitent l’épouser doivent répondre à trois énigmes, leur échec étant puni systématiquement par la mort. Le premier acte met ainsi en scène la décapitation du Prince de Perse, malheureux candidat à la main de la belle. Lors de cette scène, un prince tartare, séduit par la diabolique beauté de Turandot_sanfranciscoTurandot choisit de prétendre à sa main malgré les supplications de son vieux père aveugle, ancien roi de Tartarie en exil.

Et ce beau prince (en tout cas théoriquement beau, sur ce point la version du San Fransisco Opera laisse un peu à désirer, mais imaginons : le beau prince) réussit à résoudre les énigmes une par une. Désemparée, Turandot doit se résoudre à épouser le Prince au nom inconnu. Généreux, il lui propose de la libérer de son engagement si elle devine son nom avant l’aube. Généreux ET amoureux il le lui révèle lui-même avant la fin de la nuit, lui arrachant même un baiser qui fait enfin découvrir la volupté à Turandot. Au matin, devant son père et le peuple rassemblé, elle déclare connaître enfin le nom du prince : « Amour ». Et tout finit bien dans le meilleur des mondes (sauf pour les princes décapités et une servante torturée et suicidée pour faire bonne mesure).

En réalité le prince se nomme pas Amour mais Calaf. Et les trois ministres de l’Empeureur Ping, Pang et Pong. Turandot, Calaf, Ping, Pang, Pong, le librettiste n’était il pas atteint d’une étrange maladie des noms ? Qu’importe, l’excellent ressort psychologique de cet opéra — une vengeance transgénérationnelle du viol de la grand-mère de Turandot par un envahisseur étranger et évidemment la crainte de la sensualité — ainsi que la superbe musicalité en font je crois un de mes préférés jusqu’ici. D’ailleurs je vais le revoir dans les jours prochains pour me rassasier de bel canto, de Cité Interdite et de mandarins d’opéra. Quant à vous : achetez-le, louez-le, allez le voir en vrai, bref, ne passez surtout pas à côté de Turandot !

 

Crédit photo : resmusica.com

Turandot_sanfrancisco2

6 Comments

  1. Merci pour cette invitation à la découverte. J’avoue ne pas connaître non plus mais ça me donne envie de decouvrir.
    Je regrette juste que la suggestion ne soit pas arrivée quelques mois plus tôt, ça m’aurait peut-être permis d’éviter Faust 😉

    • C’est vrai que l’invitation à la découverte arrive un peu tard mais je crois que ça va te plaire… Quant à éviter Faust, connaissant le chef comme nous le connaissons, nous savons qu’il n’en fait de toute façon qu’à sa tête quelles que soient les suggestions :o) Aller, courage, plus que quelques mois de Faust et tu pourras rajouter une entaille sur la crosse de ton colt d’opéra.

  2. Je n’en dormirai pas tant que je ne saurai pas quel sort qui m’eût été promis si j’avais tenté ma chance…Quelle sont donc ces trois énigmes ?

    • Outre que je ne sais pas s’il est vraiment bon pour mes bien-aimés lecteurs de révéler tous les secrets de Turandot, je serai bien en peine de donner ici (et surtout maintenant) le contenu de ces mystérieuses énigmes car un petit problème technique m’a empêché de regarder l’opéra avec les sous-titres. Grace aux résumés de livrets trouvés sur internet j’ai pu suivre aisément le déroulé, mais pas au point de traduire in vivo les énigmes chantées en italien.
      Il reste donc une petite part de voile de mystère, y compris pour moi… :o)

  3. C’est aussi mon opéra préféré et j’ai eu la chance de travailler dessus sur la version donnée à Orange ! Merci pour ce post !

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