Des amitiés entre les peuples

Au cours de notre récent petit saut à Shanghaï nous avons écumé le centre ville en voiture et emprunté à de nombreuses reprises l’autoroute qui traverse le centre de part en part. Deux bâtiments ont capté nos yeux pourtant fatigués : le temple de Jing-An (dont je vous parlerai une autre fois) et un impressionnant bâtiment dans le plus pur style russo-stalinien.

Renseignements pris il s’agissait là de la Tour l’Amitié Sino-Soviétique (avec plein de majuscules), ce dont nous aurions pu nous douter si nous avions shanghai-exhibition-center2mieux remarqué la ravissante étoile rouge fichée en haut de sa haute flèche. « S’agissait » de la Tour de l’Amitié, celle-ci étant morte de sa belle mort en 1965, soit seize ans à peine après l’arrivée au pouvoir de Mao. Vous me direz, en France nous avons vu des amis de trente ans qui auraient peut-être mieux fait de rompre au bout de seize… Mais je m’égare, revenons à nos rizières.

Premier coup dur dans la rougeoyante et encore toute jeune amitié sino-soviétique : Joseph Staline meurt. Alors a priori Mao n’a pas été réellement ravagé de chagrin, mais ce fut l’objet d’une première déception pour lui. Je n’invente rien, vous pouvez vérifier : en 1953 (date de la mort de Staline pour ceux qui n’auraient pas suivi) le président Mao se pensait le leader naturel du communisme dans le monde. Il se voyait déjà calife à la place du calife quoi. Mais hélas pour lui, la Chine n’ayant pas à sa disposition de classe ouvrière suffisante, il devait s’appuyer sur la masse des paysans pour assurer sa révolution prolétarienne. Sauf que dans le marxisme hétérodoxe, il faut s’appuyer sur des ouvriers d’usines et pas sur des ouvriers agricole, vous me suivez ? Du coup, hop, au XXème congrès du Parti Communiste d’Union Soviétique (1956) c’est Khrouchtchev qui est nommé leader, d’Union Soviétique et donc du communisme mondial, et plouf Mao se retrouve le bec dans l’eau et reste Premier Vizir.

Maoznogoud ne pipe mot, mais il devait quand même être un peu agacé par tout ça puisqu’il lance le Grand Bond en Avant dès 1958 (voilà ce que c’est d’intérioriser sa colère trop longtemps : ça fait des dégâts quand ça sort). Et dès 1959 il se déclare le seul tenant du vrai marxisme-léninisme, celui qui est prêt à faire la guerre à tous les états capitalistes pour faire triompher le communisme dans le monde. Comme quoi les soviétiques ne savent pas s’arrêter avant que ce ne soit plus drôle : s’ils avaient laissé leur petit camarade Mao jouer au leader un peu à son tour, peut-être aurait-il joué plus gentiment. C’est pas parce qu’on le fait avec de vrais chars d’assaut qu’on ne doit pas jouer chacun son tour…

Bref, avec tout ça l’amitié sino-soviétique commence à avoir pas mal de plomb dans l’aile. Comme en plus le Grand Bond en Avant est un échec patent dès 1960 et que des membres du Parti chinois (dont Deng Xiaoping) veulent renverser Mao et échouent, l’humeur du Grand Timonier n’est pas au beau fixe. Pour ne pas mettre de l’huile sur le feu les soviétiques ne disent rien sur le Grand Bond mais n’en pensent pas moins et rappatrient tous leurs ingénieurs. En 1962 les carottes sont cuites : Mao accuse les soviétiques d’être des dégonflés parce qu’ils ont reculé dans la crise des missiles de Cuba, les soviétiques accusent Mao d’être un va-t-en guerre parce qu’il attaque l’Inde (oui, oui, avec son armée). Et hop, voilà les deux pays fâchés à vie. Comme quoi même les meilleurs amis ne sont pas à l’abri d’une bouderie pour deux ou trois broutilles. Il faut savoir rester vigilant.

Alors heureusement dans tout ça, le patrimoine architectural mondial a tout de même hérité ce magnifique bâtiment, devenu aujourd’hui le centre d’exposition (d’art contemporain) de Shanghaï. Je suis curieuse de voir quel genre d’oeuvres improbables sont accrochées aujourd’hui dans ce témoignage d’un autre temps… Promis, une fois installés là-bas on ira voir ça de plus près et je vous en montrerai quelques photos.

Mais surtout ne vous affligez pas de cette triste histoire d’amitié léninisto-maoïste qui finit mal : Shanghaï est toujours une ville où l’amitié entre les peuples peut s’épanouir. Prenez les Etats-Unis par exemple : ils ont installé leur consulat dans le centre ville, sur Wulumuqi South Road. Et bien leurs grands amis de la République Islamique d’Iran se sont installés juste en face,  de l’autre côté de la rue. Alors d’accord, pour l’instant ils n’ont pas encore de mur mitoyen, mais ils n’ont pas miné la route entre eux, c’est déjà un signe encourageant non ? Qui sait, peut-être qu’ils partageront une brochette à la prochaine fête des voisins ?

Vous verrez, un jour les Etats-Unis et l’Iran deviendront amis et fumeront un calumet de la paix aux plantes hallucinogènes, et tous les peuples de la Terre pourront se donner la main. Et tout ça grâce à cette incroyable ambiance euphorisante et exhilarante de Shanghaï !

 

 Crédit photo : l’mage d’en-tête est une affiche de propagande chinoise, disponible sur le site  maopost.com

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2 Comments

    • De rien, mais je pense (malheureusement, évidemment) que ma version ne figurera pas de sitôt dans les livres d’Histoire avec un grand H… :o)

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