Les Aventuriers du Temple Maudit

On part s’installer au bout du monde en croyant que l’exotisme, l’aventure, le différent passent forcément par là. En réalité l’exotisme se trouve parfois au bout de l’allée, quand ce n’est pas juste la porte d’à côté. Voilà ce que nous aurons appris durant nos vacances en France, même si c’était la France du monde austral. Et voilà, on pense aller se tremper les pieds dans les mers du sud sans dépaysement ou presque et on se retrouve en plein voyage spatio-temporel.

Nous étions donc hébergés chez notre amie Linda-Cheval-de-Feu, qui loge dans une jolie petite maison d’un quartier résidentiel calme, rue Mahatma Gandhi quelque part à la Réunion. Bref, un endroit a priori propice au repos, au calme, voire à la méditation puisqu’il y a un ashram juste en face de chez elle et deux églises à proximité. Un endroit paisible, rythmé par les prières des fidèles de différentes religions, en un mot : harmonieux.

Deux numéros plus loin, ses voisins habitent eux aussi une jolie petite maison, décorée été comme hiver des guirlandes lumineuses qui vous donnent un petit air de Noël. Sauf qu’au mois d’août point de Noël. Ah non, au mois d’août pour les malbars (réunionnais d’origine indienne et hindouistes) c’est la fête de Karly, nom créolisé de la déesse hindoue Kali. L’effrayante déesse Kali qui tire une langue rouge du sang de ses victimes et secoue son collier de crâne au rythme de sa folie et du piétinement des cadavres qui gisent sous elle, la cruelle déesse Kali qui fait d’Indiana Jones un adepte de la secte des Tugs dans leur maudit temple, bref la plus barbare déesse du panthéon hindou. Et la jolie petite maison de Noël est habitée par une famille malbar particulièrement pieuse et pratiquante qui vénère Karly. Ce qui nous a donné une séquence de fin de vacances assez pimentée :

Jeudi – 9h30. Nous partons pour une promenade sur le piton de la fournaise avec les enfants, et tout est normal dans la rue. Les guirlandes lumineuses n’ont pas bougé, le portail des voisins est clos, les enfants sont infernaux, tout est normal. Ils feront moins les malins quand on les aura fait marcher deux heures, riront bien qui riront les derniers.

Jeudi – 17h00. Nous rentrons fourbus de notre ballade au volcan. Les enfants sont épuisés, ils n’ont plus la force de nous faire des scènes, on les a eu ! Devant la maison de Noël, trois hommes sont en train d’installer des petits fanions entre la maison et le lampadaire sur le trottoir d’en face. C’est assez joli et je me demande comment ils ont réussi à faire ça à trois mètres du sol.

Jeudi – 18h30. En rentrant du parc où nous avons achevé de fatiguer les enfants, nous jaugeons le bel effet des trois guirlandes fanionnées qui enjambent maintenant la rue et qui bougent dans la brise avec le drapeau indien et un drapeau rouge qui ont fait leur apparition depuis tout à l’heure.

Jeudi – 19h30. Diner sur la terrasse au son de la clochette des voisins malbars qui pratiquent leurs rituels du soir. J’aime bien le son de la clochette, même si 1h30 de clochette ça peut finir par lasser.

Vendredi – 9h00. En route pour une ballade dans l’est de l’ile. Les voisins sont en train de tresser des feuilles de palmier pour en décorer la porte du garage, les premières effigies de Kali sont placées à l’entrée avec des guirlandes de fleurs. Tout cela est tout à fait exotique, comme ces voisins décorent joliment (quoiqu’ostensiblement) leur maison et comme il est bon d’être dans un endroit qui a une telle tolérance religieuse.

Vendredi – 15h00. Retour à la maison. Les voisins ont terminé de décorer la porte du garage. Du coup ils ont commencé à jouer du tambour. Très fort. Très très fort. Et ils sont plusieurs à en jouer. Nous nous enfermons dans la maison et fermons toutes les ouvertures pour atténuer le bruit et pouvoir nous entendre parler et penser.

Vendredi – 18h00. Linda-Cheval-de-Feu nous apprend qu’elle ne rentre pas dormir à la maison à cause du bruit que vont faire les voisins toute la nuit, et elle ne peut pas nous héberger chez la copine qui l’accueille. Les tambours jouent toujours, nous nous sentons abandonnés en rase campagne au milieu d’une bataille et le moral des troupes est au plus bas.

Vendredi – 19h30. Nous dînons au son du tambour, sur la terrasse. On a du mal à s’entendre parler. Beauté Brune plaque ses mains sur les oreilles : « oh la la, c’est vraiment trop fort, j’espère que ça ne va pas durer toute la nuit ! » Nous aussi on espère mais espérer ne suffit pas toujours…

Vendredi – 20h30. On couche les enfants, toujours au son du tambour, en espérant qu’ils arriveront à trouver le sommeil dans pareil ramdam. Les joueurs doivent avoir les bras tétanisés (ou alors en vrai titane) et être entrés en transe puisqu’ils n’ont pas arrêté une seconde depuis 15h00. Et ils avaient commencé avant… Les enfants sont moins difficiles que nous, ils s’endorment sans problème.

Vendredi – 21h00. D’un seul coup, le silence. MMM me dit qu’ils doivent faire une pause syndicale. On rigole (jaune) en se demandant dans combien de temps ils vont remettre ça et si on va réussir à dormir. Pendant ce temps je me renseigne sur internet : pour honorer Karly il faut sacrifier dix cabris mâles et cinquante-sept coqs. Ils leur coupent la tête, couic ! Et ils vont faire ça là, juste à côté de nous, de l’autre côté du mur. Maintenant on sait ce qui nous attend, même si nous n’avons pour le moment senti l’odeur d’aucun cabri. Je me rassure comme je peux : ce n’est peut-être pas pour cette nuit.

Vendredi – 22h30. On a de la chance, ils n’ont pas repris les tambours. A priori c’est fini pour ce soir, on va peut-être pouvoir dormir finalement (oui, mais jusqu’à quelle heure ?).

Samedi – 6h30. Réveil au son de la clochette et des prières. C’est beaucoup plus agréable que le tambour, c’est déjà ça. Nous fuyons et partons à la plage.

Samedi – 12h00. Nous retrouvons Linda-Cheval-de-Feu, qui a trouvé refuge dans une superbe maison avec piscine dans les hauts, pour un déjeuner en famille. On met un petit moment à se décrisper après la soirée de la veille mais on finit par bien profiter de l’après-midi et de la soirée. On en oublierait presque les voisins malbars.

Samedi – 21h00. Retour rue du Mahatma Gandhi avec les enfants endormis. Les boucs sont arrivés. On ne les voit pas, on ne les entend mais mais on les sent. Cette fois pas de doute : ce sera pour ce soir. MMM qui est allé garer la voiture un peu plus loin me dit qu’ils ont encore rajouté des décorations sur la maison. Première urgence : on déménage tous les lits pour loger les enfants dans des chambres avec volets et nous installer nous dans le salon en bas en espérant que ce sera suffisant pour nous éviter de nous réveiller au bruit des bêtes qu’on égorge.

Samedi – 21h30. Mue par la curiosité, je fais mine d’aller chercher un truc à la voiture pour passer avec naturel devant la maison de Noël qui brille de mille feux. Effectivement, ils ont rajouté des draperies sur les murs extérieurs et une nouvelle effigie géante de Kali, un fronton en velours brodé au dessus de la porte du garage et encore des trucs lumineux. Cette fois, c’est bien vrai : nous venons d’être téléportés en Inde. Par la porte entrouverte  on aperçoit les cabris et les coqs qui piétinent dans leurs crottes en attendant le moment du sacrifice. Au fond les voisins sont à leur affaire en habits de fête. Allo, l’Enterprise ? Vous nous ramenez à bord ?

Samedi – 22h30. Nous nous installons dans notre campement du salon, boules quiès dans les oreilles, en nous demandant combien de temps nous allons dormir et par quoi nous allons être réveillés. Franchement, MMM et moi n’en menons pas large.

Dimanche – 6h10. Réveil au son des tambours qui font leur grand retour. J’ouvre un oeil et fourre mes écouteurs d’iPod dans mes oreilles. Cette nuit MMM a rêvé que Linda-Cheval-de-Feu nous invitait à manger de la viande grillée chez les voisins, et moi que j’assistais au dépeçage de dix orques sur une plage. Toute ressemblance avec la fête de Karly serait évidemment totalement fortuite. J’ai peur de retirer mes écouteurs et d’entendre ce qui se passe de l’autre côté du mur…

Dimanche – 7h00. Petit-déjeuner pour tous, enfermés dans le salon à l’abri derrière les volets. On entend des coups sourds portés régulièrement : ce sont le ou les hachoirs qui équarrissent ces pauvres bêtes. Dehors le barbecue chauffe déjà, installé sous un petit barnum de l’autre côté de la rue. Tout cela vous aurait des petits airs de kermesse sympathique si on ne savait pas comment le feu est alimenté. Rien que l’odeur des  morceaux de viande qui cuisent me donnent envie de devenir végétarienne.

Dimanche – 10h00. On a bouclé nos valises pour le retour à Paris ce soir. Je n’en peux plus de l’odeur du barbecue et on s’enfuit (encore) à la plage. Heureusement il fait beau, la mer est belle, il n’y a pas de vent. On oublie un peu le Temple Maudit et on en profite à fond parce que c’est peut-être la dernière fois avant longtemps qu’on sera en vacances à la plage.

Dimanche – 17h00. Retour à la maison pour une douche avant le vol de nuit et récupération des valises. Le barbecue est encore en cours, chez les voisins c’est la fête, la porte du garage est grande ouverte sur une tablée qui n’en finit pas. L’idée de manger de la viande me dégoûte, et je crois que vraiment je n’aime pas Kali.

Dimanche -19h00. Nous sommes à l’aéroport, enregistrement fait, bagages déposés, il ne nous reste qu’à grignoter un petit quelque chose. Quelqu’un peut-il m’expliquer pourquoi il y a un gars qui joue du djembé depuis une heure ? Le tambour je n’en peux plus, je peux plus, je peux plus ! Je commence à comprendre pourquoi Linda-Cheval-de-Feu nous a abandonnés sans se retourner : un truc pareil ça peut se supporter une fois mais pas deux.

Lundi – 6h25. Atterrissage à Paris, retour à un monde silencieux et sans odeur de bouc. Franchement, si la Réunion est exotique comme ça, qu’est-ce que va nous réserver la Chine et ses brochettes de chien ? Aller, je deviens végétarienne pour de bon ?

 

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4 Comments

  1. J’espère que tu (ou MTM) as pris de belles photos de l’évènement…Ca me rappelle, en plus barbare dans l’esprit, les funérailles d’une princesse à Sulawesi auxquelles ta Maman avait été conviée lors de notre séjour en Indonésie

    Bisous

  2. Oui j’espère que vous avez pris des photos !!!! Cette semaine il y avait un reportage sur France 3 ou 5, sur la Réunion et son patrimoine, présentant un temple Malbar. J’ai donc découvert cette religion que je ne connaissais pas.
    Chez les Torajas à Sulawesi (Iles Célèbes – Indonésie) j’ai participé à une cérémonie d’enterrement. La famille (au sens très très large) sont invités, le village en entier, et d’autre comme moi et mon groupe. Tous les invités doivent offrir des cadeaux à la famille – cadeaux rituels : buffle, cochon noir, vin de palme, riz, poulets, fruits, etc… qui serviront à nourir tous les invités. Tous les buffles offerts sont invités à se battre avant d’être sacrifiés (très respectueusement, en les assommant d’abord).
    Les invités « étrangers » qui étaient acceptés devaient de conformer strictement aux règles ancestrales : tenue vestimentaire, comportement, nourriture… J’ai donc mangé du buffle sacrifié, cuit dans un tube de bambou, sauce au sang et noix de coco (délicieux !) et j’ai dû mâcher du betel, sans grimacer devant la famille de la défunte et en essayant désespérément de recracher cette pâte d’une amertume extrême avec élégance et discrétion dans ma main ….
    Outre les aspects rituels, sacrificiels et culinaires, il y avait bien entendu d’autres aspects relevant de religion, de philosophie de la vie après la mort, etc… Expérience rare et inoubliable !!!!
    Laisse passer un peu de temps et tu verras qu’on ne devient pas forcément végétarien après une expérience de ce type … ou alors un jour ou deux ? ou une semaine ? ….

    • On verra ce qu’il adviendra dans quelque temps de mon souvenir de cette expérience mais peut-être suis-je moins sensible aux traditions malbars que toi à celles des Célèbes… Ou alors c’est le fait que ce n’était pas choisi mais subi, ou encore que nous n’étions pas au fin fond d’une contrée reculée mais bien dans un département français où en théorie quelques règles s’appliquent sur le respect des voisins et l’interdiction de l’abattage des animaux, ou si c’est tout simplement l’odeur prégnante du bouc, ou le fait que nous avons imaginé plus que vu la cérémonie mais je pense que si j’avais dû manger de cette viande elle se serait retrouvée avec mon estomac sur le bitume… :o)

  3. Et en plus nous n’avons même pas de très belles photos de tout cela parce que les invités qui allaient et venaient nous jetaient des regards peu accueillants et que nous ne voulions pas jouer les touristes-voyeurs (par peur qu’ils nous poursuivent au hachoir ?). Reste mon récit…

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