Aborder la Chine dans l’esprit de Matteo Ricci

Au fil de mes lectures sur la Chine et son histoire, j’ai souvent croisé le nom de Matteo Ricci, premier missionnaire à avoir pénétré profondément en Chine jusqu’à Pékin et premier vecteur de connaissances sur un Empire du Milieu à l’époque nimbé de mystère. Puisque j’avais déjà intégralement lu les pérégrinations du Père Huc – ce missionnaire français ayant quant à lui atteint Lhassa quelques trois cent ans plus tard – je ne pouvais pas manquer de découvrir la vie et le parcours hors norme de Ricci. J’ai donc mis dans mon petit panier la très bonne biographie de Vincent Cronin, Matteo Ricci, le sage venu de l’Occident et me suis laissée (em)porter par le parcours et les qualités de cet homme, qui m’ont inspiré de menues réflexions sur la manière correcte d’aborder un nouveau pays.

Pour ne pas perdre les lecteurs qui ont poussé jusqu’à ce deuxième paragraphe, je vais tenter de vous faire un résumé synthétiquement court de la vie de Matteo Ricci, et vous allécher en vous disant que grâce à lui je me suis presque réconciliée à vie avec la Compagnie de Jésus et la notion de Mission en général (et pour ceux qui connaissent mon amour immodéré de ceux qui voudraient imposer leur foi aux autres sous prétexte qu’elle serait la seule qui vaille, vous imaginez comme l’homme est d’exception). Donc Matteo Ricci naît en Italie en 1552, d’un père pharmacien et d’une mère fertile qui donnera naissance à douze autres enfants. Très tôt il est captivé par l’enseignement d’un père jésuite installé dans sa petite ville de Macerata et montre des aptitudes intellectuelles et linguistiques exceptionnelles (aujourd’hui on l’aurait sûrement appelé enfant précoce ou quelque chose du genre), ainsi qu’une aspiration sincère à la vie spirituelle. Malgré la ferme opposition de son père, il part étudier à Rome et choisit la compagnie de Jésus pour prendre ses voeux. Après l’appel du Christ, c’est l’appel du large qu’il entend : il fera des pieds et des mains pour rejoindre les missions d’Asie, avec le rêve secret d’évangéliser la Chine où à l’époque aucun prêtre n’a eu le droit de pénétrer.

Ses voeux sont finalement entendus, il est nommé en Asie et commence alors son long voyage sans retour vers la Chine : via Lisbonne il rejoint Goa, comptoir portugais aux moeurs déjà dissolues, puis Cochin et enfin Macao. A Macao, il s’attelle à l’apprentissage du chinois, sans méthode Assimil ni dictionnaire, s’égare à apprendre un dialecte local avant de se rendre compte qu’il doit apprendre le mandarin, bute sur la prononciation des tons qui lui font vivre (comme à moi) mille tourments, surmonte les obstacles et commence (pas comme moi) la rédaction du Grand Dictionnaire de la Langue Chinoise, qui continue à faire autorité encore aujourd’hui.

A l’époque, les chinois refusent l’entrée des prêtres catholiques sur leur territoire. Ils les voient comme des espions à la solde des portugais, lesquels brillent par leur brutalité guerrière dans les territoires qu’ils occupent, dont Macao. Ricci décide lui de porter l’habit de moine bouddhiste pour bien se distinguer des marchands portugais, se lie d’amitié avec un lettré et se débrouille pour se faire inviter par lui sur le territoire chinois. Il s’installe ainsi avec un confrère jésuite dans une petite ville de province chinoise, où ils construisent leur première chapelle et font sensation en montrant l’étendue de leurs connaissances scientifiques aux chinois, à grand renfort de cartes géographiques, de prismes en cristal, d’horloges, de globes terrestres et de tableaux pieux utilisant la perspective.

Et l’intelligence de Ricci, son incroyable intelligence humaine, est d’avoir abordé sa mission et la découverte de la Chine avec une ouverture d’esprit et une humilité totale. Il a senti autant que pensé que cette civilisation millénaire, au moins égale en niveau de civilisation à l’Europe, ne pouvait pas s’aborder comme ces territoires peuplés de « sauvages » qu’on évangélisait brutalement sous prétexte de leur apporter la « civilisation ». Il a d’abord voulu comprendre, écouter, s’intéresser aux hommes, à leur culture, leurs systèmes de pensée philosophique, religieux, à leurs coutumes, leur langue. Il s’est déclaré sujet de l’Empereur, s’est assujeti à ses lois, s’est fait appeler Li Ma Tou, ne s’est plus jamais habillé en occidental, n’a construit de maison et d’église que selon l’architecture locale. Il a aimé la Chine et les chinois, souhaité les éclairer de sa foi mais jamais la leur imposer. Il a cherché comment la foi chrétienne pouvait s’insérer dans la Chine telle qu’elle était et non occidentaliser la Chine et la faire plier à notre culture. Sa foi sincère le portait à souhaiter des conversions, mais jamais au prix de la force, jamais au prix de l’intransigeance et du mépris de l’autre.

Après plusieurs années et plusieurs changements de localité l’amenant brièvement jusqu’à Nankin et Suzhou, il part pour Pékin dans l’espoir de rencontrer l’Empereur et de faire autoriser le culte catholique en Chine, muni des protections de plusieurs mandarins devenu ses amis. Durant ce voyage il fait un choix décisif : quitter l’habit de moine bouddhiste, alors méprisé en Chine, pour celui de lettré ce qui lui ouvrira toutes les portes ou presque à Pékin. Devenu responsable de la mission en Chine et avec l’autorisation tacite de professer sa foi, il continue à oeuvrer, enseigner, recevoir, être reçu, traduire, célébrer, convertir pendant des années, attendant en vain d’être reçu par l’Empereur, mais échangeant avec lui cadeaux et connaissances par l’entremise des eunuques du palais. A sa mort, la requête adressée à l’Empereur de pouvoir l’enterrer en terre de Chine reçoit une réponse favorable : ce grand sage est digne de recevoir un lopin de terre de Chine pour recevoir sa dépouille. Matteo Ricci est le premier occidental à obtenir cet honneur.

Après sa mort, et dans ce pays où vivent désormais plusieurs centaines de milliers de convertis, les dominicains et les franciscains arrivés dans ce qu’ils pensent être un territoire conquis crient au scandale en constatant que les convertis des jésuites pratiquent encore, et avec l’accord de leurs prêtres, le culte des ancêtres. C’est qu’avec sa grande intelligence Ricci avait conclu au bout de plusieurs années que ce rite n’était pas incompatible avec le christianisme : d’abord parce que les chinois ne croyaient pas vraiment que leurs ancêtres vivaient sur ces autels, ensuite parce que leurs offrandes et prosternations étaient une manifestation de piété filiale, destinée aux vivants plutôt qu’aux morts. Les nouveaux missionnaires, non sinophones pour leur grande majorité et ignorant tout de la Chine, n’hésitèrent pas à faire remonter leur indignation jusqu’à Rome qui finit par trancher dans le sens de l’intransigeance plutôt que de la générosité : le culte des ancêtres devait être interdit aux convertis sur tout le territoire. Ce qui passera à la postérité sous le nom de querelle des rites, irrita l’empereur au plus haut point et lui fit interdire aux prêtres catholiques de résider en Chine, sauf à ce qu’ils reviennent à la pratique de Matteo Ricci. Rome s’y refusant absolument, la Chine restera interdite aux missionnaires pour plusieurs siècles, laissant les nouveaux convertis à eux-mêmes.

Bon, j’avais promis un résumé court et synthétique et je me rends compte que c’est complètement raté, mais avec une vie aussi riche et passionnante j’ai du mal à m’arrêter. Toute considération spirituelle mise à part, après cette lecture je me suis dit que si parmi les voyageurs, les expats, et même les sédentaires derrière leur télé, il y avait un peu plus de Matteo Ricci bienveillants et un peu moins de dominico-franciscains intransigeants, le monde se porterait bien mieux. A commencer par les voyageurs eux-même. L’amour, le respect et la curiosité de l’autre, ça devrait faire partie du bagage obligatoire de ceux qui partent vivre loin de chez eux (et des autres). Alors pour commencer on peut fourrer une biographie de Matteo Ricci dans sa valise, ce sera déjà un bon début.

Je me demande même si on ne devrait pas la rajouter au programme du bac. Vous croyez qu’il faudrait que j’en touche un mot à Najat ?

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A lire absolument : Matteo Ricci, le sage venu de l’Occident, Vincent Cronin.

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4 Comments

  1. Merci et bravo pour ce texte passionnant et si bien rédigé sur la vie de Mateo Ricci, pardon Li Ma Tou…
    Je me suis régalée et ai appris encore, comme toujours avec l’histoire chinoise !

  2. Merci de nous faire partager tes lectures et découvertes ! Encore un que je ne connaissais pas !!! tu donnes envie de le découvrir. Le Matteo sortait vraiment de l’ordinaire pour son époque. Je ne sais pas si nos temps modernes si « connectés », si zappants, si consuméristes et égoïstes pourraient y voir un modèle ou un guide ….hélas !

    Juste un avis : Najat Vannaud Bel Kacem est très occupée à faire face à la (nouvelle) bronca déclenchée à la suite de la (nouvelle) réforme) du collège. Dépose ton projet cet été en passant à Paris ….

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