Vacances campagnardes, vacances rêvées ?

Dans les ingrédients de nos premières vacances françaises depuis un an, nous avons mis une bonne dose de séjour à Paris : parce que c’est la plus belle ville du monde, parce que notre famille et nos amis y vivent, et parce que notre appartement s’y trouve et que passer du temps dans « leur » chambre nous semblait important pour les enfants. Vu le délire extatique avec lequel ils ont redécouvert les jouets que nous avons laissés en France, il semblerait que nous ayons bien fait. Mais cinq semaines de vacances à Paris, même si on a été privés de notre ville honnie-chérie pendant un an, il faut quand même pas pousser. Pour déconnecter avec Shanghai et recharger nos batteries pour l’année à venir il fallait aussi quelque chose de différent : il nous fallait un séjour à la campagne. Dix jours de campagne française pour se détoxifier de onze mois de mégapole chinoise c’est peu mais c’est bon, et légèrement surréaliste.

Pour dire la vérité, voilà en fait quelques années que chaque été nous prenons nos quartiers à la campagne pour 10 à 15 jours. Et quand je dis « la campagne », je devrais dire que nous cherchons consciencieusement les gîtes les plus reculés dans des coins de France ruraux et inexplorés afin d’atteindre le dépaysement total, et nous donner envie et capacité de retrouver un an de ville après ça. Ceux qui nous connaissent savent à quel point nous sommes de vrais rats des villes, de pathétiques citadins tout juste capables de différencier des orties d’un pied de menthe et dont les compétences potagères se limitent à différencier les tomates des haricots (fort heureusement nous ne sommes pas daltoniens). Rajoutez à ça que je suis potentiellement allergique à la moindre piqûre d’insecte, ex-arachnophobe sévère et affligée d’un rhume des foins de haute tenue qui fait pleurer mes yeux, moucher mon nez et gratter ma peau à la moindre graminée et vous aurez compris que je suis sur le papier totalement inadaptée à la vie à la campagne. Et pourtant, y aller une fois par an est devenu aussi indispensable à mon équilibre que mes nourritures intellectuelles pendant l’année. Car oui, j’ose le dire : la campagne j’aime ça, même si elle ne me le rend pas.

Parmi tous ces coins de campagne française se trouve un terroir particulier, celui où s’entassent moult souvenirs d’enfance et de vacances partagées. Il y a une région bretonnante où j’ai des racines familiales et un amour compulsif du biniou que seul peut conférer la génétique, mais dans ce coin de Quercy je retrouve la maison d’enfance de ma grand-mère paternelle, laquelle était la maison d’enfance de sa mère avant elle, et peut-être même encore une génération avant (je n’ai aucun talent généalogique). Une maison de campagne, bien « dans son jus » et pas du tout rénovée comme dans les émissions de déco : pleine d’un bazar multigénérationnel soigneusement pas rangé passages après passages (surtout ne rien jeter !), de circulations tarabiscotées et de lits antédiluviens ennemis des dos les moins fragiles, de salles de bains spartiates et mal conçues, de planchers usés qu’on ne voudrait surtout pas changer, d’installation électrique fantaisiste et de projets de rénovation pas (encore) achevés. Mais une maison pleine de souvenirs avec ma grand-mère, mes cousins, toute la famille de mon père, des amis, à eux, à moi, des apéros en terrasse avec vue sur le clocher, des angelus à toute volée à huit heures, des barbecues dans le jardin, des rigolades, des agacements passagers et de petites fâcheries (c’est quand même la famille), des moments plus mélancoliques où on panse ses blessures, toute une collection de petits instants de vie amoncelés là depuis quarante ans. Et aujourd’hui j’y regarde mes enfants qui jouent dans le même jardin et font les mêmes bêtises que moi à leur âge. Ce n’est peut-être pas la plus belle région de France, ce n’est pas la plus belle maison, mais c’est un des seuls points d’ancrages qui n’ait jamais bougé pour moi tout au long des années, une preuve matérielle que les générations passent et que la famille reste.

La semaine dernière nous y étions sur la terrasse, avec le soleil qui se couchait, le ciel qui s’irisait, le clocher qui nous dominait, et nous étions tellement hors du temps que nous nous demandions avec MonMeilleurMari si cette année à Shanghai avait réellement existé. N’y avions nous pas simplement passé un petit mois, une parenthèse étrange et sans durée alors qu’en réalité nous n’avions jamais quitté la France ? Que ce coin intemporel soit à moins de 24h de transport du Bund et des tours de Pudong alors qu’en réalité ils se trouvent à des années-lumière les uns des autres me semble être la preuve scientifique irréfutable que la téléportation existe déjà. Et pour l’instant mon petit cerveau a du mal à suivre ce rythme surnaturel et à faire des ponts entre les deux mondes.

Alors j’adore ce petit coin de France, mais soyons honnête : si j’y vivais à l’année, mon petit Paradis-les-Oies des vacances deviendrait probablement ma version terrestre de l’enfer de Dante. Le secret de cette petite bulle heureuse : rester juste une parenthèse, un contre-pied de ce que je suis et je vis ordinairement, pour y revenir encore et encore mais filer juste avant que ses défauts ne me sautent trop aux yeux. Paradis, ton nom est changement…

 

Ce texte participe à l’apéro cosmique estival d’Aileza.

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9 Comments

  1. Oh non mais toi alors ! Je te jure il faudrait t’inventer si tu n’existais pas^^ J’étais en train de lire ton texte et de l’apprécier innocemment, sans faire le moins du monde le lien avec mon modeste apéro, quand soudain je réalise que oui ce petit bijou y participe et de quelle façon ! Bon bah j’adore quoi 😉
    Et j’adhère tout à fait à ta définition moi qui ne rêve que de campagne quand je suis à Paris et inversement…

  2. J’y vis à l’année… et, tu le sais, les premiers temps ont été un peu « déroutants » mais franchement ici, on va à l’essentiel. Pas besoin de X paires de chaussures ou de X petites robes (donc pas besoin de faire les magasins très régulièrement) ; les gens des champs ne sont pas si différents des gens des villes au fond ; on trouve pas mal d’activités à faire et de vrais contacts sympa. Le jardin qui s’éveille apporte mille satisfactions (oui d’accord, des déceptions aussi, surtout en période de canicule) et apprend beaucoup. Les bibliothèques sont plutôt bien achalandées (même si elles sont à environ 20km de chez nous) et nombreux sont les villages qui organisent des expositions ou des séances cinéma de choix. Nous avons aussi quelques festivals de musique et de théâtre. Bref, de quoi alimenter notre curiosité et égayer notre vie.
    Pourquoi faut-il du monde, de la bousculade, des gaz d’échappement, des magasins à gogo qui ferment les uns après les autres et poussent à la consommation ? … c’est une question que j’ai eu à me poser, forcément, la réponse est venue toute seule, en douceur : j’étais adicte malgré moi, ici j’ai « repris la main » et trouvé d’autres sources de bonheur.
    Assez philosophé… nous étions ravis de vous avoir quelques instants. Nous aurions bien aimé discuter un peu plus mais le « concentré » que vous nous avez offert était bien agréable. A refaire une autre année si vous le pouvez.
    Nous vous embrassons.

    • Mon petit doigt m’avait dit qu’avec ce thème tu risquais de me faire un clin d’oeil 😉

      Sur le fond je suis d’accord avec toi, d’autant que je me suis désintoxiqué du shopping depuis belle lurette (mais que fais-je encore en ville me diras-tu ? Et bien je soigne mon rhume des foins figures toi…), et je n’exclus pas de finir un jour dans l’Aubrac, histoire de changer un peu de l’environnement rapide des villes, mais en attendant Shanghai nous attend encore un moment (enfin, il parait…).

      A l’année prochaine pour un moment plus long en tout cas, c’était très chouette de vous revoir. Grosses bises

      • Bonjours Nicole

        Peut être un jour au détour d’une ballade à pied ou à vélo…laissons le hasard en décider…

  3. « Paradis, ton nom est changement… » Jolie formule après ce très attachant billet de vacances qui ne laisse pas indifférent et remue des tas d’échos pour notre génération qui a eu la chance, par ses parents et grands parents, d’entrevoir une ruralité non affectée par les bricolages technologiques divers de notre époque et a fait ainsi un voyage dans le temps. On dit cependant, « on change de cieux mais pas d’âme » est-ce incompatible ? Non pour une âme douée pour habiter tous les lieux, gobe-terrestre en quelque sorte. Un arbre développe d’autant mieux la structure aérienne de son feuillage qu’il a pu developper un réseau souterrain de vigoureuses racines et votre billet illustre bien la force d’un retour vivifiant sous « son arbre d’enfance » .
    Que Sanghaï ne soit qu’à vingt-quatre heures d’avion de votre campagne serait pour moi un vrai problème et je regrette, sans l’avoir connue, la lenteur perdue mais justificative d’enracinement des voyages d’autrefois.

    • Je regrette aussi de ne pas pouvoir transmettre à mes enfants les noms ou les propriétés des plantes, je trouverais ça tellement plus joli que de leur transmettre ma dextérité sur un clavier… Mais mon cerveau -contrairement à mon corps – ne voyageant qu’à la vitesse des transatlantiques et rechignant totalement à téléportation, peut-être arriverons nous à faire une synthèse temporelle acceptable tout de même 😉 En attendant je cultive mes racines intérieures, au sud-ouest et à l’ouest, même si elles empruntent des chemins différents. Et j’embarque le tout au grand Est…

  4. Le rituel « pas assez de réseau même en bout de terrasse » m’avait temporairement interdit l’accès à ton blog et à ton ci dessus dernier billet (dont cependant « assez de réseau » pour en connaitre l’existence, c’est frustrant…)
    Nostalgie, quand tu nous tiens. Et magie des mots et des images qui ne sont que des petites clefs passe partout ouvrant des passages sur des vécus différents pour la plupart des lecteurs, mais bien commun pour nous. Comme ce piano casserole qu’il ne faut, sous peine de sacrilège, surtout pas ré-accorder…
    Clin d’ oeil à Marcel que ce « Château de ta Grand-Mère » qui , je l’espère, continuera à peupler les souvenirs transgénérationnels.

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