Opéra Lu : La mariée de Jiao Zhongqing

Il ne vous aura sans doute pas échappé que l’une de mes meilleures amies s’appelle ici Magic Soprano. Ni peut-être que nous avons toutes les deux usé nos fonds de culotte sur les chaises inconfortables de la même chorale durant de nombreuses années au temps où j’étais moi-même une soprano active et râleuse. Nous avons même chanté ensemble plusieurs opéras. Il était donc totalement impensable de ne pas fêter dignement sa venue à Shanghai par une nouvelle représentation d’opéra chinois, et ce d’autant plus que nous fêtions son anniversaire.

N’ayant eu le choix ni de la date ni du type d’opéra cette semaine-là, le hasard nous fit découvrir l’opéra Lu. Bien moins connu et représenté que l’opéra de Pékin ou de Canton, il est originaire de la province du Anhui (dans le bassin du Yang Tsé à 350 km à l’ouest de Shanghai) dont étaient d’ailleurs issues les troupes qui fondèrent l’opéra de Pékin. Il a pour particularité de s’appuyer essentiellement sur des chansons traditionnelles populaires et de mettre l’accent sur l’histoire et les émotions des personnages. Et de fait, il s’est avéré bien plus accessible au plan musical que l’opéra de Pékin, et également bien plus simple et stylisé dans les costumes (mais peut-être était-ce là un parti pris « moderniste » de la troupe qui se produisait).

L’oeuvre à laquelle nous avons assisté, La mariée de Jiao Zhongqing, est tirée d’un classique de la littérature chinoise (que vous pouvez lire en anglais ici). Sa trame en est évidemment dramatique. La jeune et jolie Lanzhi est éprise du lettré Jiao Zhongqing qui le lui rend bien. Elle l’épouse avec bonheur à dix-sept ans mais la mère de Jiao Zhongqing, belle-mère jalouse et intransigeante s’il en est, épuise sa bru à la tâche sans lui trouver aucune grâce et fini par exiger de son fils qu’il la répudie pour lui trouver un meilleur parti. Incapable de désobéir à sa mère, Zhongqing se résout à cette répudiation mais jure de ne jamais épouser d’autre femme. Sa jeune épouse, le coeur brisé, retourne alors vivre chez son tyrannique frère aîné, qui lui organise derechef un nouveau mariage auquel elle se soumet la mort dans l’âme. En l’apprenant, égaré par la perte de son amour, Jiao Zhongqing finit par se pendre. Vêtue de son nouvel habit rouge de mariée, Lanzhi le rejoint alors sans hésitation dans la mort en se noyant. Dans la pièce (mais pas dans l’oeuvre originale), ils ressuscitent dans une dernière scène par la grâce d’un Phoenix, dans un happy end magique qui nous a quelque peu échappé.

Nous nous sommes toutes les trois régalées de cette soirée, y compris notre troisième amie pourtant moins férue d’art lyrique que nous. Quoique s’appuyant sur la technique vocale chinoise classique, les mélodies populaires nous sont entrées en tête facilement et nous ont fait chantonner tout le reste de la soirée. Quant à la trame dramatique, en dehors de quelques intermèdes et personnages restés obscurs, nous l’avons d’autant mieux suivie qu’à certains moments j’ai même saisi quelques mots et phrases éclairantes en mandarin. Inutile de dire que mon ego s’est démesurément gonflé d’orgueil de cette « performance » linguistique. La fin de la pièce fut particulièrement émouvante, qu’il s’agisse des vibratos et des yeux brillants de larmes de Lanzhi ou du chant de sa belle-mère, tenant comme un nourrisson le manteau de son fils mort en lui chantant une berceuse, la voix brisée de sanglots. Cette dernière scène m’a mise au bord des larmes, quand bien même cette affreuse femme avait su se montrer cruelle et indifférente aux sentiments de son fils et de sa bru et appelait donc une punition théâtrale idoine.

Vraiment l’opéra chinois ce n’est pas que du folklore moribond. C’est un art vivant, drôle et émouvant, c’est vraiment du beau et du grand théâtre. Bref, courrez-y, vous ne risquez qu’une bonne surprise !

 

Photos prises au Lanxin Theater (Lyceum Theater) de Shanghai, le 26 janvier 2015

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