Abécédaire absurde de la Chine [A-B]

Ne reculant devant aucun effort intellectuel pour vous initier aux beautés de la langue et de la culture chinoise, je me lance aujourd’hui dans la rédaction d’un abécédaire de la Chine. Projet absurde en soi d’abord parce qu’il ne vous aura pas échappé qu’en Chine on écrit depuis des millénaires en idéogrammes ou caractères. Lesquels caractères refusent obstinément toute classification par ordre alphabétique, voire l’idée même d’alphabet. Autant dire que l’anarchie scripturale n’est pas loin et la recherche dans un dictionnaire réservée aux seuls initiés. Vous concocter un abécédaire d’une langue ne contenant ni « a » ni « b » ni « c » me semblait être un défi à ma mesure, inspiré de Mots d’ici et d’ailleurs qui s’y amuse de son côté. Je m’empresse de l’entamer pour être sûre de finir 2015 en beauté et de commencer 2016 sur de bonnes bases.

N’espérez pas un précis de vocabulaire exhaustif, ni même utile, seuls mes (maigres) connaissance en mandarin et le potentiel inspirant d’un mot guideront mes choix. Bref, ça risque d’être du grand n’importe quoi mais si je fais bien mon travail à la fin vous connaîtrez au moins 26 mots de chinois, ce qui par ces temps de chômage élevé peut toujours servir à impressionner un futur employeur. Alors c’est parti pour les deux premiers mots avec aujourd’hui au programme : ài (aimer) et bàba (papa). Vous voyez que ça commence bien : rien que des mots faciles et prononçables.

Ài : aimer. Prononcez « aïe ». Excellente idée de commencer par là car cela tord d’emblée le cou aux idées reçues : mais non, le chinois n’est pas si compliqué à retenir, il suffit juste de trouver le bon moyen mnémotechnique. « Aïe » comme « ouille-ouille-ouille, aimer ça peut faire rudement mal, surtout quand ça rate ». Vous sentez immédiatement le poids de la longue lignée de philosophes brillants naviguant dans le sillage de Kong Fu Zi et Lao Zi, philosophie infusant jusque dans la construction de la langue en réduisant le mot aimer à cette onomatopée si évocatrice : ài, aïe aïe aïe ! Quand je vous disais que c’était simple.

Le mot c’est bien, mais savoir l’utiliser c’est mieux. Alors puisque la grammaire mandarine ignore la conjugaison vous pouvez facilement déclarer votre flamme selon cette structure simple : je aimer toi = wǒ ài nǐ (prononcez ouo aïe ni). Vous voilà fin prêts à entrer en contact avec les chinois et à opérer un rapprochement entre les peuples, après tout c’est bientôt Noël il faut bien que l’amour descende dans nos coeurs et nous fasse ouvrir la porte aux autres.

Voilà pour l’oral de la chose. Passons maintenant sans crainte à l’écrit : je vous invite par cette petite vidéo pédagogique à vous familiariser avec ce premier caractère chinois (au moment même où je m’improvise prof de caractères chinois, ce qui n’est pas sans promettre quelques incongruités et imprécisions) :

 

Bàba : papa. Prononcez baba, comme dans baba au rhum. Notez cependant que le chinois ignore la pâtisserie en général et le baba en particulier, et qu’il n’a pas la moindre idée de ce qu’est le rhum. Pour autant, le baba local peut tout à fait s’enivrer au bái jiǔ (prononcez baille djiou), alcool blanc local qu’on appellerait volontiers gnôle dans nos campagnes. Le baba au bái jiǔ se rencontre particulièrement facilement lors des repas d’affaires où il lève le coude en rythme en disant ganbei (prononcez ganebeille) jusqu’à ce qu’ivresse s’ensuive (car dans le repas d’affaire en Chine, perdre la face consiste à caler au moment de boire et non à rouler sous la table qui est parfaitement admis). Le baba au bái jiǔ parvient ensuite à regagner son domicile par des moyens mystérieux et un trajet sinusoïdal.

Pour ce qui est de son comportement en environnement familial, les moeurs du baba chinois me sont moins familière mais je sais de source plus ou moins détournée qu’il n’est pas vraiment censé s’occuper de l’enfant, tâche clairement dévolue à la māma (ça c’est comme en italien, quand je vous dis que c’est facile), voire à une grand-mère venue en renfort. Le baba au bái jiǔ est donc une pâtisserie rare faite d’une pâte à gâteau bien fraîche (le chinois fait ses enfants très tôt) mais concoctée d’après une recette des années 60 (période où donner un bain était un exploit olympique pour un père). Le contrepied exact de nos papas au rhum français en somme.

babaCôté idéogramme, le bàba chinois regroupe l’ancien caractère « fu » – désormais tombé en désuétude – désignant le père (et qui ressemble vaguement à deux sabres croisant le fer) et le caractère ba (qui ne ressemble qu’à lui même) qui sert à indiquer une suggestion à la fin d’une phrase. Quant à l’association de ces deux caractères je me perds en conjecture… Le caractère bà indiquerait-il une suggestion à être père à nouveau ? Serait-ce une forme de provocation conjugale à défier la politique de l’enfant unique ? Ou plus prosaïquement une suggestion de plus participer à l’éducation de l’enfant en jouant au moins au sabre avec lui ? La vérité est à la fois plus simple et moins divertissante : le caractère « père » indique le sens et le caractère « ba » la prononciation. Et une autre idée reçue à la poubelle : qui a dit qu’il était impossible de deviner la prononciation d’un caractère simplement d’après sa forme ? Hum ?

 

Voilà, sur ces éclairantes explications je vais vous laisser tranquillement digérer ces deux premiers mots de mandarin pendant que je réfléchis à quelques idées pour la suite…

 

source photo : Pinterest, calligraphie du mot ài.

GrandBondMilieu_abecedaire_Ai

6 Comments

  1. Bon, alors si j’ai bien compris, « Papa je t’aime » se dirait « Wo ai baba » ?
    (avé les assents en plus, hein, peuchère).
    Cool, grâce à ma copine-de-chine (et ça rime), je vais pouvoir frimer à Noël :)))
    Bisouxxx
    Mahie

      • J’ai hâte de lire la suite pour élargir mon vocabulaire :)))
        (paske là, pour discuter avec mes voisins de Chinatown, je me sens encore un peu limitée. Mdr)
        La suite, la suite !

  2. Ton abécédaire est d’autant plus ambitieux qu’il est empirique 😉 (merci pour la citation!). Le mien devrait débuter prochainement mais mon Mâle insiste pour qu’il suive l’alphabet grec et vu mon niveau de grec (inexistant donc), sorti du alpha et d’Athenes, va falloir que je potasse un peu !

    • Trèèèèèès empirique (mais ça fait quand même un an que j’étudie et que je pratique le mandarin, je ne suis donc pas totalement sans ressources bien que mon niveau d’érudition soit loin de celui d’un sinologue…). C’est pour les idéogrammes que je suis obligée de potasser un peu, même si j’ai appris quelques petites choses en cours (tout de meme !).
      Quant au grec, moi qui n’en ai jamais fait j’ai hâte d’apprendre enfin cet alphabet par ton truchement (je n’en connais que les usages scientifiques : alpha, bêta, têta (ou theta ?), rho (celle-là je l’aime), gamma, et je crois que c’est tout…). Bref, j’ai hâte d’en apprendre plus 😉

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