Vous le savez, à l’arrivée dans un nouveau pays tout expat’ normalement constitué doit surmonter une liste de difficultés relativement incontournables. En général, il se concentrera d’abord sur les techniques locales de chasse à l’auroch et de cueillette de sarrasin sauvage pour pouvoir s’alimenter, comme chez lui où à la mode locale. Puis il tentera d’apprendre quelques rudiments de dialecte local pour compléter sa maigre pitance en pratiquant le troc ou le commerce avec les autochtones. Ce n’est qu’ensuite que le drame peut le frapper dans toute son amplitude : il a perdu – au moins géographiquement – tous ses amis d’avant et dans ce pays aux moeurs étranges il ne connait personne. Or il ne faut jamais sous-estimer l’importance de l’équilibre psychologique d’un chasseur d’auroch : déprimé, il courre moins vite, et au final tout le monde mange moins bien. Vous voyez donc que je n’exagérais pas en parlant de drame. Qu’il le veuille ou non, l’expat’ devra donc à un moment donné se confronter à ses semblables pour tenter de nouer de nouveaux liens sociaux. Penchons-nous donc aujourd’hui sur cette intéressante question : l’amitié est-elle soluble dans l’expatriation ?
Premier épisode : les amis d’avant
Premier volet du problème : vous êtes maintenant loin de vos amis d’avant. Les plus prudents seront partis dans un pays d’Europe leur permettant de revenir régulièrement en week-end ou en vacances dans leur pays d’origine. Ceux-là pourront relativement facilement entretenir leurs liens d’avant moyennant un peu d’organisation et de bonne volonté, encore qu’ils ne seront pas totalement épargnés par ce qui suit. Les autres, les inconscients, les malchanceux, les aventuriers, les globe-trotters, bref les autres seront partis dans un pays lointain qui n’est à portée que de longues heures d’avion et d’une fenêtre étroite pour se parler malgré le décalage horaire. Pour ceux-là, c’est clair : les choses ne seront plus du tout comme avant.
Premier effet du départ : comme pour tout déménagement, partir oblige à faire du ménage et du tri, et pas que dans ses petites affaires. D’ailleurs pour ce qui est des amis, c’est le déménagement qui fait le tri tout seul, même pas besoin de s’y coller. Donc parmi tout ce qui constituait votre tissu social d’avant, voilà ce qui risque de se produire :
- les connaissances, les collègues à qui vous disiez juste bonjour-bonsoir, les voisins d’immeuble mal aimables, la boulangère, la prof de danse, l’animateur de la ludothèque, la bibliothécaire, le facteur, la caissière de la supérette, les mamans des camarades de classe, les nounous du square, bref, les gens qui faisaient partie de votre paysage mais avec qui vous n’aviez pas de lien fort disparaissent. Vous les recroisez éventuellement avec plaisir (oui, même le voisin d’immeuble mal aimable) quand vous reviendrez l’été mais au fond ils ne vous manquent pas.
- les copains, les copines de chorale, les co-équipiers de rugby, les collègues sympas, les copains de copains, bref les gens que vous aimez bien et voyiez assez régulièrement sans être au centre de votre vie affective vont probablement vous manquer pas mal, sans doute beaucoup plus que ce que vous pensiez. Individuellement vous auriez pu sans trop de peine supporter la perte ou l’éloignement de l’un d’entre eux, mais tous ensemble et tout d’un coup, ça laisse quand même un grand vide. D’autant que rapidement deux sous-catégories vont se constituer :
- ceux qui gardent contact, et même qui d’un seul coup se mettent à échanger plus ou moins régulièrement avec vous. Un petit mot, un petit coucou sur facebook, un signe humain et d’un seul coup vous avez rudement chaud au coeur dans votre exil. Ils savent que vous êtes loin et prennent de vos nouvelles, et vous commencez à vous dire que vous vous étiez mieux connus peut-être qu’ils auraient finis par devenir des amis. Ceux là vous leur vouez une reconnaissance d’autant plus éperdue qu’elle est inattendue : qu’ils pensent à vous de temps en temps, et ça vous soutient vraiment les jours de blues.
- ceux – plus nombreux – qui ne donnent pas de nouvelles. Au fond ça ne devrait pas surprendre : très peu de gens ont l’âme d’une marquise de Sévigné, mais certains jours ce silence vous tapera tout de même un peu sur les nerfs. En fait ils pensent à vous, mais de loin. Ils seront contents de vous recroiser, vraiment, lorsque vous reviendrez mais il ne font pas plus d’effort que ça pour garder contact. Il faut les comprendre : eux ils n’ont pas tout perdu d’un coup, ils s’aménagent sans trop de peine avec votre absence. Ils ne sont donc pas vraiment perdus de vue, mais au fil des jours et des mois ils se rapprochent insensiblement du cercle de vos connaissances, bref ils naviguent pour vous dans la zone trouble des amitiés.
- les amis, les vrais, ceux qui comptent, que vous aimez, qui vous aiment, à qui vous avez tout raconté de votre vie, avec qui vous avez partagé des moments intenses et légers, pour qui vous êtes présent dans les moments durs et qui vous le rendent bien depuis de longues années, bref, les amis. Et eux ils manquent, mais alors ils manquent comme c’est pas possible. Et pour ceux-là aussi curieusement plusieurs catégories se dessinent :
- ceux qui prendront l’avion pour venir vous voir où que vous soyez, parce que vous aussi vous leur manquez, parce qu’ils veulent découvrir ce que vous leur décrivez de votre pays d’accueil, parce qu’ils veulent vous montrer qu’ils restent là pour vous, même à des milliers de kilomètres. Vous les aimez encore plus pour ça, c’est rude quand ils repartent mais ça vous prouve encore que vous avez raison de les considérer comme vos amis.
- ceux qui font l’effort de prendre la plume et essaient de suivre bon an mal an votre rythme épistolaire frénétique, qui montrent qu’ils ne vous oublient pas et que vous revoyez avec grand bonheur quand vous rentrez.
- ceux dont vous n’entendez plus parler, qui se mettent brutalement aux abonnés absents, qui vous déçoivent et ça vous fait mal, vraiment. La vérité c’est que quel que soit l’amour qu’ils vous port(ai)ent, certains ne supportent pas que vous partiez loin et c’est tout. Heureusement ils sont rares, mais notez qu’un seul de ceux-là peut suffire à vous plomber le moral sur une durée non négligeable.
Vous l’imaginez bien, expérimenter tout ça prend du temps et de l’énergie – d’autant qu’il faut continuer à chasser l’auroch dans les steppes pendant ce temps-là – mais attention : c’est là qu’il ne faut surtout pas mollir. Car pendant que vous opérez ce tri et ces réaménagements intérieurs, vous prenez conscience qu’il est impossible de vous épanouir, voire même de survivre avec comme seule nourriture affective quelques échanges de mails et conversations skype avec vos amis d’avant et votre famille. Oui, même pour une anachorète farouchement solitaire dans mon genre, et même avec des amis de classe internationale comme les miens. Il vous reste donc à affronter votre challenge (et celui-là vous ne pouvez pas le refuser, sous peine d’entamer une dépression sévère de l’expat’) : vous faire de nouveaux amis là où vous êtes.
Et parce que cette question cruciale mérite une réponse détaillée autant que circonstanciée, cela fera l’objet d’un prochain billet. A suivre donc…
source photo : www.parisinfo.com
Tres bien ecrit mon amour… et tellement bien analyse!
C’est que j’ai un Doctorat ès Amitiés, c’est très très rare mais ça me permet d’analyser très finement les choses 😉
Hum hum ça sent le vécu tout ça 🙂
Bonne analyse en tout cas, car oui, on peut avoir des surprises dans un sens ou dans l’autre.
La preuve ?
Bien moi … mdr … on s’était perdues de vue et coucou nous revoilà !!!
Bizzzzz
Jamais totalement perdue de vue Aliette, juste en pointillés 😉
Très bien vu….j’attends la suite, j’ai des choses à dire! 🙂
C’est une première de faire un billet en deux parties, j’ai la (petite) pression sur la suite maintenant 😉
Bonjour,
Je me reconnais totalement dans ce que vous écrivez. L’expatriation n’est pas simple tous les jours. En tout cas vous avez les mots juste pour décrire tout ça :)…
Merci marmotte ! Pas simple tous les jours, c’est tout à fait ça…
Et quand on rentre d’expatriation vers son pays d’origine, c’est pas simple non plus Apres qq années d’absence !!
Effectivement… Je ne sais pas si j’aurais assez de matière (pour l’instant) pour en faire un billet, mais revenir « au bercail » n’est pas de tout repos.
J’attends bien sûr la suite avec impatience mais je vois déjà, depuis de nombreux « billets » se profiler une nouvelle catégorie « d’amis » … ceux qui ne te connaissent que par ton profil, partagent des situations ou des points de vue mais que tu ne connais pas, pour lesquels je dirais qu' »ils sont prêts », et toi aussi peut-être.
Au risque de paraître plus vieille encore que la réalité ça me rappelle l’histoire de ce couple qui s’était connu (puis marié et vivait heureux) parce qu’elle était sa marraine de guerre, lui écrivait très régulièrement mais ne l’avait jamais rencontré…. oui, d’accord, ça date mais c’est universel et intemporel.
Bisous.
De nouveaux copains peut-être, voire sans doute, quant à en faire des amis j’imagine que seul le temps le dira… 🙂 Et puis t’es pas si vieille que ça va, ou alors je le suis avec toi puisque je fais partie des derniers irréductibles qui écrivent encore parfois des lettres, sur du papier, avec des timbres et qui mettent des jours voire des semaines à parvenir à leur destinataire. J’ai peut-être quelques gènes de Sévigné, va savoir…
Ah oui, c’est exactement ça ! Et j’ajouterai les amis qui viennent te voir mais que tu ne reconnais pas le temps de leur séjour dans ta nouvelle contrée. Je pensais que ça n’arrivais qu’au retour mais non, finalement, tout peut changer tout le temps
Ah oui, je n’ai pas (encore ?) expérimenté cette configuration, ça n’a pas l’air très glop non plus…
Oh non, c’est pas très glop et je te souhaite de ne jamais y être confrontée !
Et puis y a aussi les copines de la catégorie qui prend l’avion pour venir te voir, mais qui sont un peu molles du mail en ce moment.
Mais pour tant je suis lààààà :)))
Faute avouée est à moitié pardonnée 😉
Très beau texte, jolie plume, comme d’habitude.
Je pense que nous avons besoin, pour notre équilibre, d’avoir un réseau de copains là où nous habitons.
Amis ?… C’est beaucoup … surtout dans le cadre d’une expatriation, où l’on sait très bien, que chacun repartira un jour, on ne sait pas où.
Les sentiments affectifs sont mal menés, des larmes seront versées.
Il faut vivre le moment présent, profité de tout ce que cette expatriation peut nous apporter, pour la vivre au mieux, car je pense que c’est une chance, de pouvoir vivre cette expérience, avec ses hauts et ses bas.
Merci Cegui, c’est vrai qu’on a besoin d’un réseau de copains pour l’équilibre, idéalement dans mon fonctionnement personnel j’ai aussi besoin d’amis et d’échanges profonds, mais j’apprends jour après jour que c’est une denrée plutôt rare dans cette situation d’expatriation… Ca fera d’ailleurs l’objet de mon deuxième opus, plus que 24h à attendre. 🙂
Bien écrit, bien décrit, je retrouve a 100% mes expériences amicales !
Un autre moyen de distinguer connaissances, copains et amis, c’est bien sur le retour, entre ceux qui sont pressés de te revoir et de t’interroger sur tes expériences, ceux qui sont contents de te voir mais ne te posent aucune question sur ton expat, ceux que tu recroises et qui te disent: « déjà de retour ??? Ah oui, ca fait déjà 2 ans ! » Ok, je ne lui ai pas beaucoup manqué a celui-ci !!!
Effectivement, il y a ça aussi, mais pour ceux qui ne nous posent pas de questions en général on n’a même pas besoin de partir pour se rendre compte que notre vie ne les intéresse pas, ce sont les mêmes qui n’en posent pas non plus quand on vit à côté d’eux… 😉
Haha et après plus de deux d’expatriation, je me dis que mes amis sont devenus que des simples amis… Ce qui me rend assez triste parfois car ils n’auront jamais fait l’effort de venir me voir… Loin des yeux, souvent loin du coeur malheureusement… Mais bon, au final on se fait aussi de bons amis dans son pays d’expatriation 🙂