Introduction au petit livre rouge

Tout d’abord une bonne nouvelle chers lecteurs : ce site vient d’échapper à l’autodestruction puisque je me suis lancée il y a quelques jours dans ma première leçon de chinois, mes écouteurs rivés sur les oreilles. Pour vous livrer ma toute première impression c’est pas de la tarte, et je vous fait patienter un peu pour les deuxièmes impressions… Toujours est-il que j’ai relevé avec brio le gant de ma mission impossible personnelle et gagné le droit de continuer à écrire ici. Donc au menu du jour un incontournable historique : le petit livre rouge comme vous ne l’avez jamais lu. Ce sera d’autant plus facile que je parierais qu’aucun d’entre vous ne l’a lu (oui, même mes ex-soixante-huitards de parents cools à cheveux longs), ce qui me laisse un champ de manoeuvre assez large.

Et manoeuvre est bien le terme car de cette lecture il ressort que plus militaire et guerroyant que le petit livre rouge tu meurs (sous les tirs de l’armée populaire évidemment). A lire ce florilège de citations du président Mao il apparait que l’expression « lutte des classes » n’est qu’une mignonnette formule édulcorée pour désigner ce qui semble plutôt devoir être la Guerre Mondiale et Totale des Classes, version chinoise d’Apocalypse Class Now. Qu’on se le dise, « le pouvoir est au bout du fusil ». Bref, devenir un vrai communiste, c’est comme parler chinois pour moi : vraiment pas de la tarte, mais en nettement plus militaire.

Petite contextualisation historique pour les étourdis qui auraient dormi pendant les cours d’histoire de terminale (Ah bon ? La Chine contemporaine n’est pas au programme de terminale ?). Le petit livre rouge est l’appellation commune des Citations du Président Mao, recueil réalisé par Lin Piao, éminent membre du parti et soutien indéfectible du camarade Mao. A l’époque (1966), Mao a passé la main à Liu Shiaoqi qui lui a succédé — avec son aval — à la présidence de la République Populaire. Lorsqu’il le place à cette éminente position, Mao pense que Liu va lui manger dans la main et qu’il pourra le piloter comme une marionnette. Mais rapidement Liu échappe à l’influence de Mao et met en application ses propres idées, voire critique la politique de Mao, en particulier celle du Grand Bond en Avant (à ne pas confondre avec le Grand Bond au Milieu, j’espère que vous suivez). A ce propos il dira à Mao « avec autant de morts de faim, l’Histoire retiendra nos deux noms et le cannibalisme sera aussi dans les livres ». Tout cela ne pouvait pas plaire à Mao, qui décida d’utiliser les masses populaires pour déstabiliser un PCC qui le boudait suite à l’échec du Grand Bond. Habilement, il transforma les étudiants en armadas de Gardes Rouges livre rouge au poing. Trois ans plus tard, ayant réussi à reprendre le pouvoir et « épurer » le PCC de sa frange trop « réactionnaire » et « contre-révolutionnaire » (Liu Shiaoqi, mais aussi Zhou Enlai et Deng Xiaoping en feront les frais en étant emprisonnés et violemment maltraités), Mao se débarrasse des gardes rouges en les envoyant se rééduquer au grand air à la campagne et en retirant de la circulation les petits livres rouges. Ceux-ci n’auront circulé que trois ans en Chine, mais continueront une brillante carrière en occident, notamment sur les bancs des facs françaises à partir de 68. Ce n’est qu’en 2013 que le livre sera réédité en Chine, en édition de luxe (manière de dire que ce livre est devenu un collector ?).

Venons en au contenu. En 347 pages et 33 chapitres, Lin Piao nous donne à lire ce qu’il considérait comme la quintessence de la pensée du Grand Timonier, et c’est loin d’être un petit travail vu la prolixité du grand leader. Oeuvres longues, discours aux conventions du PCC, discussions avec les étudiants, préfaces, notes, allocutions diverses et variées, tout y passe (j’ai un petit penchant personnel pour ses opus « D’où viennent les idées justes? » et « Contre le culte du livre »). Les 204 premières pages du petit livre rouge sont consacrées à l’armée populaire, à la guerre révolutionnaire et à la lutte sous toutes ses formes. Les 143 suivantes évoquent plus l’organisation du parti, les modes corrects de pensée et la manière de devenir un bon communiste en s’oubliant soi-même (les références à l’armée demeurent très présentes mais s’espacent un peu). Je garde pour un prochain billet l’analyse lexicale de cet ouvrage (je suis certaine que ce sera fascinant) pour vous livrer d’abord ici un petit best-of des citations qui m’ont le plus frappée.

// « Dans la société de classes, chaque homme occupe une position de classe déterminée et il n’existe aucune pensée qui ne porte une empreinte de classe ». // « La révolution n’est pas un dîner de gala ; elle ne se fait pas comme une oeuvre littéraire, un dessin ou une broderie ; elle ne peut s’accomplir avec autant d’élégance, de tranquillité et de délicatesse, ou avec autant de douceur, d’amabilité, de courtoisie, de retenue et de générosité d’âme. La révolution, c’est un soulèvement, un acte de violence par lequel une classe en renverse une autre ». // « Nier les principes fondamentaux et la vérité universelle du marxisme c’est du révisionnisme, c’est à dire une forme de l’idéologie bourgeoise ». // « La guerre est la continuation de la politique ». // « Le pouvoir est au bout du fusil ». // « Il n’est possible de transformer le monde qu’avec le fusil ». // « L’impérialisme et tous les réactionnaires sont des tigres en papier ». // « Sans armée populaire le peuple n’aurait rien ». // « A condition que nous observions constamment les directives du Parti, nous sommes sûr de la victoire ». // « La bombe atomique est un tigre en papier dont les réactionnaires américains se servent pour effrayer les gens ». //  « Sans vue politique juste on est comme sans âme ». //  « L’avenir est radieux mais notre chemin est tortueux ». //  « Qu’est-ce que travailler ? Travailler c’est lutter ». //  « L’existence sociale des hommes détermine leur pensée ». //  « Dans l’étude d’une question il faut se garder d’être subjectif ». //  « Il faut réaffirmer la discipline du Parti à savoir: 1) soumission de l’individu à l’organisation; 2) soumission de la minorité à la majorité ; 3) soumission de l’échelon inférieur à l’échelon supérieur ; 4) soumission de l’ensemble du Parti au Comité Central ». // « Pour soigner des maladies idéologiques et politiques il faut se garder des brutalités : la seule méthode juste et efficace c’est de « guérir la maladie pour sauver l’homme » ». // « Il n’existe pas dans la réalité d’art pour l’art, d’art au dessus des classes ni d’art qui se développe en dehors de la politique ou indépendamment d’elle ». // « Combattre, c’est apprendre ». // 

Aller, lorsque je passerai demain à Saint-Lazare j’aurai une petite pensée compréhensive pour les irréductibles cheminots encore grévistes : ils se donnent vraiment beaucoup de mal pour devenir de VRAIS communistes, eux. Des vrais qui luttent et luttent encore jusqu’à renverser les forces réactionnaires en se mettant au service du peuple (le fameux « c’est pour vous qu’on fait ça, pour le service public ». Et vous savez quoi ? Le pire c’est qu’ils y croient sûrement (un peu)). Aller les gars, tous avec SUD-Rail : C’est la lutteeee finaaaale…

 

Crédit photo : site de l’Express

livrerouge

2 Comments

  1. « l’avenir est radieux mais notre chemin est tortueux » : cette petite phrase bien équilibrée en quasiment deux hémistiches me rappelle curieusement un certain Raffarin, ancien Premier ministre.
    Damned, se serait-il inspiré du Petit livre Rouge, lui un UMP ?????? je n’ose y croire !!!

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