Quand ton enfant bilingue te tape sur le système

Bon, d’une certaine manière on l’a bien cherché. En arrivant ici on s’était dit « donnons à nos enfants la chance d’apprendre une langue étrangère dès l’enfance », sur le papier ça semblait être une rudement bonne idée. Et même pas très originale puisque beaucoup d’autres parents font le même choix à l’étranger. Au début, nos rejetons n’ont pas été tout à fait d’accord, surtout le grand qui n’a pas aimé notre idée de génie. Mais alors pas du tout. Et puis progressivement le grand comme le petit ont commencé à intégrer de plus en plus d’anglais et de chinois, jusqu’à passer de l’un à l’autre avec fluidité en fonction des situations. Et là notre ego de parent s’est gargarisé voire démesurément enflé : nous avions des enfants bilingues voire en voie de trilinguisation (disons que ce mot existe), nous avions fait les bons choix scolaires et éducatifs, nous étions des parents géniaux ayant surmonté toutes les épreuves de la scolarisation bilingue. On était bien contents de notre coup. Et c’est là que survient le revers de la médaille : le moment où notre enfant bilingue commence à nous taper sévèrement sur le système à force de parler anglais, voire franglais à tout bout de champ.

Je suis sûrement injuste en commençant à saturer d’entendre ma Beauté Brune d’amour parler anglais du soir au matin. Après tout je me suis grandement réjouie du moment où il a commencé à le faire, nous prouvant qu’il avait dépassé son blocage linguistique. Mais là c’est plus fort que moi, je sature. Déjà à cause de la quantité : il joue en anglais, regarde ses dessins animés en anglais, s’adresse à nous en anglais, voire insère des mots d’anglais dans ses phrases en français. Façon Jean-Claude Van Damme si vous voyez ce que je veux dire (Dieu merci il ne connait pas encore le mot « aware »). Notez bien que je ne déteste pas parler anglais moi-même, voire je m’en débrouille assez bien mais je veux bien aussi parler français chez moi, ça me repose. Et là tout cet anglais dans la bouche de mon fils, c’est plus fort que moi, ça m’agace. D’ailleurs je lui dis : « arrête de parler anglais, ça suffit maintenant ». Oui, je suis cette mère schizophrène qui oblige son fils à une scolarité bilingue et qui une fois à la maison lui dit qu’ici on parle français non mais oh. Mais aussi c’est un peu sa faute, c’est lui qu’à commencé M’dame !

Parce que non content de parler anglais, notre fils parle avec un abominable accent américain. Moi qui aurait rêvé de l’entendre parler distinguished comme Queen Mum, ou comme James Bond à la rigueur, voilà que je me retrouve avec un mini-texan dans mon salon. Et pas le texan upper class version Jock ou JR Ewing avec costard sur mesure et stetson impeccable, non plutôt version flingue apparent sur son jean et chewin-gum bruyamment machônné. Où et comment a-t-il attrapé cette insupportable manie, mystère… ses enseignantes américaines ayant jusqu’ici plutôt parlé avec un léger accent bostonien type descendant du May Flower. Ca restait tout de même assez distingué. Et là, bim : le texan qui surgit de nulle part. Et le pire, le pire dans tout ça c’est qu’il adore cet accent et qu’il le force au maximum. Je le soupçonne même de l’accentuer encore lorsque je lui demande d’arrêter et d’adopter un accent plus neutre (genre comme celui de sa mère, avec un mix indéfinissable d’anglo-américain teinté d’une pointe de Frenchie, il ne faut tout de même pas renier ses origines). Et insolent avec ça : « mais mamaaaaaaan, c’est comme ça que j’ai appris ». Et je ne parle pas des fois où il me reprend sur ma prononciation. Moui, c’est cela…

Notez que je suis beaucoup plus tolérante sur son accent chinois que je trouve excellent. Sans doute parce que je n’ai aucune capacité à savoir s’il a un accent pékinois, shanghaien ou d’une province rurale reculée. Si ça se trouve il se rendra compte à l’âge adulte qu’il a un accent chinois des plus ploucs, mais en attendant ça nous convient très bien et ça ravit tous les chinois à qui il parle. Sans compter qu’il ne nous parle pas en chinois à table ce qui est très reposant, surtout vu notre niveau de mandarin. Il parle chinois avec ayi, c’est parfait.

Alors avec tout ça, je m’interroge : vous croyez que c’est par pure jalousie linguistique que ça m’agace de ne pas comprendre quand mon mon fils de 7 ans me parle anglais et que c’est lui qui m’apprend de nouveaux mots ? Ca m’étonnerait beaucoup de moi ça… Et puis d’abord moi j’ai étudié l’anglais, pas le texan, alors euh hein… Bon.

 

source photo : retour à l’innocence

grandbondmilieu_bilingue

19 Comments

  1. Un petit mot d’une « enfant » bi/tri-lingue.

    Moi aussi, je parle un horrible mix de français, anglais, chinois, surtout avec mon frère, qui a eu la même éducation. On passe sans problème d’une langue à l’autre dans une conversation, voir dans une phrase. Pourquoi ? Parce que certains concepts rendent mieux dans une langue, d’autres dans une autre. Certains mots exprime l’idée juste que nous souhaitons exprimer dans une langue, alors qu’elle n’est qu’approximative une fois traduite (les traductions ne sont que rarement exactes). Du coup, pourquoi s’embêter à utiliser un mot approximatif alors que nous avons le mot juste, même s’il est dans une langue différente que celle dans laquelle nous avons commencé la conversation ? Surtout quand la personne en face comprendra elle aussi mieux dans cette autre langue ?

    Certaines choses ont aussi été apprises dans une langue, d’autres dans une autre. Du coup, les mots nous viennent bien plus facilement dans la langue dans laquelle nous avons fait notre éducation. Exemple récent : j’ai appris la plongée en anglais, et du coup, suis bien incapable d’en parler en français ! Ce n’est que récemment, lorsque j’en ai fait dans un environnement francophone, que j’ai appris certains mots spécifiques, même sans être spécialisés. Mais du coup, étant venus après, le français ne me vient pas naturellement quand je parle de ce sujet.

    Pour finir, est-ce que ça horripile mes parents ? Mon père, oui, qui nous reprends sans arrêt et râle quand on mélange les langues (il reconnait lui-même n’être pas très à l’aise en anglais). Ma mère quant à elle est plutôt fière de nous, même si je la sens parfois un peu frustrée de ne pas suivre. Mais elle ne râle pas, ça la motive plutôt à apprendre l’anglais.

    Quand a mes amis, la plupart de ceux présent dans mon environnement proche sont aussi « mixte », que ce soit de sang, ou parce qu’ils ont habité longtemps à l’étranger. Du coup, on fait tous pareil et ce n’est pas vraiment un problème. Je me demande d’ailleurs si ça ne va pas devenir chose courante dans le futur, ou les gens se mélangent de plus en plus ?

    Par contre, il est vrai que de temps en temps, je crains d’en venir à perdre mon français. D’où d’ailleurs l’une des raisons de la tenue de mon blog. Au moins, ça me fait un espace ou je fait l’effort d’écrire dans un français à peu près correct. J’essaie autant que possible d’éviter les anglicismes (ou sinismes/chinismes (?) – l’inventions de mots est elle acceptable ?), mais ce n’est pas toujours réussi. Et parfois, il faut que je me creuse la tête afin de retrouver des mots français (et oui, je suis même parfois obligée de sortir le traducteur anglais-français ! Rien de plus horripilant que d’avoir un mot sur le bout de la langue, mais de ne pas s’en souvenir dans la bonne langue).

    • Oh que oui je comprends cette propension à utiliser le vocable le plus précis et le plus concis dans la langue qui s’impose d’elle-même. Même qu’il m’arrive à moi aussi de saupoudrer mes phrases en français d’un peu d’anglais quand un mot m’échappe ou qu’il me vient naturellement en anglais. Ca encore je peux faire face, mais je te jure que l’affreux accent du midwest ça j’y arrive pas !! 🙂

      • Il ne reste donc plus qu’une solution : l’inonder d’accent British. Séries, films, radio, podcast, etc. En espérant que par osmose, il passe du Texan au British. Sinon, je peux lui présenter mes amies Australienne et Neo Zélandaise. L’accent n’étant pas aussi distingué que celui de sa Majesté, mais il est fun !

        • Pas si simple, on trouve plus facilement des videos à l’accent US que GB… Finalement on va peut-être l’envoyer en colo à Oxbridge, c’est peut-être ça la solution 😉

  2. Même problème ici. Francoangloarabo bref il faut suivre et rester calme sur la tournure de certaines phrases. Et comme tu dis l’accent qu’ils ont est incroyable. Moi les miens sont british à fond, ne se gênent pas pour se foutre ouvertement de mon mauvais accent Français et mangent avec plaisir de gelly. bref des insolents sans aucun respect ! 🙂

    • Ah oui, je n’avais pas vu venir le problème de la jelly (yeuuuuurk !!), comme quoi tout accent a son problème potentiel 😉 Mais sur le fond rien ne change : insolents jusqu’à la moelle !

  3. Dur dur de préserver la langue maternelle quand l’enfant baigne toute la journée dans une autre langue ! Ma fille ce matin: « Mon lait ne « tourne » pas brun comme d’habitude ! » (Avec le Nesquick je précise car sinon on va croire que je fais boire du lait périmé à ma fille !!!) ou encore: « ils ne font pas du skate-board « proprement »  » (comprenez « correctement » car ce n’était pas particulièrement boueux ce matin !). Bref, les pires sont ces mots très proches dans les 2 langues mais qui n’ont pas le même sens…
    Je suis aussi d’accord que certaines notions sont plus faciles à dire dans une langue que dans une autre, comme « sleep over » et « commute » en anglais, pour ne citer que ceux-là que l’on doit traduire par de longues périphrases: « aller dormir chez un copain » et « aller de la maison au boulot et vice-versa ».

    Un autre aspect de la chose, c’est que cela m’a permis de me mettre à la place de ces parents immigrés en France qui ne maitrisent pas bien la langue de leur pays d’accueil et se sentent débordés par leurs enfants qui, eux, l’apprennent à l’école. Comment ne pas se sentir impuissant parfois ? Je comprends beaucoup mieux pourquoi certains parents peuvent perdre leur autorité parentale…

    Allez, va, laisse la fierté prendre le dessus !!! Dans un monde de plus en plus global, tes enfants seront déjà bien « armés » ! (Terme qq peu belliqueux mais je n’en trouve pas d’autre là… « Gifted » serait mieux !)

    • Effectivement, mon petit cas personnel n’est rien à côté du fait d’avoir ses enfants en système anglophone, et vivant en Angleterre qui plus est 🙂 En même temps j’aime bien ces tournures de phrases erronées à la Jane Birkin, je trouve ça assez charmant (j’ai la lucidité de supputer qu’elles m’agaceraient chez mes enfants, mais je trouve ça très mignon chez les autres).
      Quant à la fierté je pense qu’il ne faudra pas trop me pousser : j’ai écouté Beauté Brune faire ses devoirs de lecture d’anglais tout à l’heure et mon coeur de mère était tout gonflé d’orgueil. Il est quand même fort mon fils 😉

  4. Ahahah, ça doit être rigolo n’empêche, un gros accent de cowboy sorti d’une toute jolie petite bouche! Ici j’en suis encore au stade de la fierté, et on n’entend très peu d’anglais à la maison quand il n’y a ni les copains ni la nanny. Ça m’inquiète donc un peu de te lire… Je devrais peut-être sévir par anticipation?

    • Rigolo, rigolo ça dépend des jours et de l’humeur 😉 Quant à sévir par anticipation, c’est ma devise : avec eux on n’a jamais pris trop d’avance vu leur capacité à inventer des bêtises 🙂

  5. Ah ah, même problème ici avec le même horrible accent texan… sauf que pour nous c’est normal 😉 (et je me moque pas trop, j’ai le même maintenant) !

    Je ne pense pas que ce soit de la jalousie, mais, en tout cas pour moi, avoir la même langue que mes enfants me fait du bien, déjà qu’ils ne grandissent pas dans le même pays et qu’ils n’auront pas la même culture… C’est une façon d’avoir une certaine unité avec eux, de leur montrer d’où je viens.

    Je me permets de te mettre un lien vers un article que j’ai écrit il y a un mois, pour te montrer que j’ai le même problème que toi ! : https://misstexasblog.com/2016/09/10/mes-enfants-sont-bilingues-et-moi-je-rame/

    • Ah ben oui, vous vous avez des excuses pour l’accent 😉 Et bien vous pour le côté « culture commune », je suis effectivement très attachée à la langue française comme vecteur de culture (ou j’ai juste l’esprit petit et jaloux, j’ai pas encore tranché en fait…).
      Et pour votre billet, je l’avais déjà lu et ça m’avait beaucoup fait rire…

  6. Je ne vois qu’une solution : rentrer en France rapidement !
    Avec un peu de chance, ses connaissances ne seront pas suffisamment consolidées et il aura tout oublié quelques mois après le retour pour retrouver le niveau linguistique du bon petit français élevé à l’école communale 😉

    • Ah mais oui, la voilà la solution ! Tu as raison : cette histoire d’expatriation et de scolarité bilingue n’a que trop duré, revenons vite aux basiques !! 🙂

  7. Dites-donc, entre le refus de l’accent texan, le petit commentaire ironique sur les ploucs chinois et celui sur l’école communale, y aurait-il un complexe sur les origines moins cotées en Bourse ? En psychologie j’ai appris il y a longtemps qu’il n’existe pas de complexe de supériorité : mais seulement d’infériorité.
    Alors ?
    Voilà, je trouve, un débat intéressant sur : qu’est-ce qui nous prend aux tripes quand on entend nos enfants avoir cet /ces accents ? Cela m’intéresse, car j’ai corrigé mon accent, petite, pour ne pas déplaire à ma mère… Me suis-je éloignée de moi-même ? Ou d’une partie de moi-même ?
    Valérie Joubert

    • Ciel, mes origines creusoises et les méandres secrets de mon inconscient sont donc découverts et publiquement révélés !! A moins que ce ne soit juste ma propension à tourner en dérision (et avec une parfaite mauvaise foi) les petites choses qui m’agacent, allez savoir… Elles disent quoi vos études de psychologie sur l’envie de manier l’humour et la dérision sans trop se prendre au sérieux ?
      Je n’aime pas l’accent texan, je trouve ça moche, mais si je vous dis que j’avais le même enfant et que mon retour en France me l’a ratiboisé à coups de moqueries vous pensez qu’il faut que je passe sur le divan ? 😉

      • Je n’ai rien découvert du tout ! Je n’ai pas le pouvoir de lire dans les méandres de l’inconscient des autres, et d’autre part l’inconscient n’est pas pour moi un ennemi… :-), je ne suis pas dans la psychanalyse (aïe, je risque d’avoir les analystes non jungiens sur le dos maintenant).
        … et je n’utilise pas de divan :-).
        Non, j’ai beaucoup ri en lisant votre billet, mais je me pose quand même la question : qu’est-ce qu’on n’aime pas dans l’accent texan ? J’utilise « on » (comme le « nous » ci-dessus) à dessein, parce que pour moi non plus cet accent n’a pas toujours été facile à entendre.
        Et je pense qu’on devrait ratiboiser la moquerie, pas les enfants :-/.

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