Comme beaucoup de parents arrivant à Shanghai (et probablement ailleurs à l’étranger), nous nous sommes réjouis pour nos enfants de l’opportunité que notre expatriation représentait pour eux d’apprendre une deuxième, voire une troisième langue à l’âge tendre où leur cerveau encore frais et malléable produit tout un tas de nouveaux neurones chaque jour quand les nôtres luttent déjà pour rester performants. Pour l’école, nous avons réfléchi et nous nous sommes assez rapidement dit « oh oui, inscrivons Beauté Brune en section bilingue : à cet âge là ils apprennent très facilement, ce sera un vrai plus pour lui ». Fin de la réflexion, décision et inscription, et voilà un problème de réglé dans la liste interminable de ce que nous avions à faire avant le départ.
Si nous avions su, nous aurions peut-être réfléchi encore un peu, et en tout cas mieux préparé notre fils au saut dans le grand bain linguistique. Mais à l’époque nous étions en légère surcharge cognitive et émotionnelle (voire en panique totale à l’idée de ne pas avoir de place du tout pour Beauté Brune à l’école, et de ne peut-être pas avoir nos visas, et d’organiser le déménagement, et d’essayer de nous représenter tant bien que mal la vie ici, et de tout le reste) et notre rencontre avec le LFS nous avait pleinement rassurés : ces gens savaient ce qu’ils faisaient, ils étaient sérieux, tout allait bien se passer. Et sur le papier effectivement, ça paraissait parfait. Sauf que, sauf que deux trois petites choses avaient échappé à la clairvoyance de notre boule de cristal et que cette rentrée en section bilingue n’a pas été un long fleuve tranquille bordé de rose jusqu’au bilinguisme facile et épanoui de notre fils. Oh que non.
D’abord, première surprise : sa fort sympathique et chaleureuse maîtresse américaine ne parle pas un mot de français. Et il est en classe avec elle trois jours sur cinq, sans aucune traductrice à l’horizon. Nous, avant, nous pensions bêtement que pour travailler au LFS il fallait parler français, au moins un peu. Et en fait non. Alors sachant que Beauté Brune n’aime pas, mais alors pas DU TOUT ne pas comprendre et ne pas pouvoir s’exprimer, au point d’avoir envie de tout casser autour de lui, il s’est vite bloqué et renfermé dans sa coquille (à piquants la coquille, et fermée à double tour). Nous avons aussi découvert cette année qu’il a malheureusement hérité de moi un petit syndrome « je dois être le meilleur sinon c’est que je suis nul », ce qui sous un certain angle peut pousser à l’excellence scolaire mais sous un autre est plutôt source de complications au quotidien, pour lui comme pour nous. Mon « grand » est donc rentré de sa première demi-journée d’anglais à moitié désespéré : il était nul puisqu’il ne parlait pas anglais au bout de trois heures (pire : d’autres enfants avaient réussi à répéter quelques mots et pas lui, et là c’était la preuve qu’il n’y arriverait jamais). Nous avons pris notre ton de pom-pom girl pour le rassurer et l’encourager – apprendre l’anglais c’est trop cool yihaaaa ! – et nous nous sommes dit : ça va passer, c’est la première semaine, on a encore le décalage horaire, il va se prendre au jeu et trouver ça trop bien d’apprendre l’anglais.
Et bien il ne s’est pas pris au jeu, n’a pas trouvé ça trop bien et s’est crispé de plus en plus dans sa coquille à piquants, nous interdisant d’essayer de l’aider à la maison, refusant qu’on lui enseigne quelques mots pour débloquer la situation et pouvoir mieux communiquer avec sa maîtresse. C’est qu’il n’a pas hérité que de mes névroses scolaires mais aussi de mon charmant caractère (yihaaaa !). Pendant des semaines qui se sont transformées en mois, notre Beauté Brune a été en souffrance, voire en grande souffrance dans sa classe (l’anglais étant aussi le révélateur d’autres éléments en lui, mais c’est un autre sujet), et nous avons souffert de le voir souffrir autant et d’être impuissants à l’aider. Nous nous sommes alors aperçus en discutant autour de nous qu’il n’était pas le seul à connaître des difficultés de ce type en section bilingue : tous les enfants n’aiment pas être poussés directement dans le grand bain pour apprendre à nager. Et d’autres barbotent sans complexes et commencent à se débrouiller en janvier, sans passer par les affres que nous avons connu. C’est une sorte de loterie aquatico-linguistique en somme.
Nous nous sommes posés plus d’une fois la question de le faire basculer en section classique. « Tu seras bilingue mon fils » d’accord, mais si le prix devait être celui de ses larmes et de son mal-être c’était peut-être un peu cher payé pour un fantasme de parents. Après tout, être bilingue n’est pas si fondamental que ça dans la vie, alors qu’être heureux à l’école, apprendre avec plaisir, par curiosité et pour soi-même, devenir quelqu’un de bien l’est en revanche. Donc s’il ne devenait pas bilingue cette année, ou même jamais, mais qu’il arrêtait de pleurer j’étais prête à signer. Après quelques aménagements sur mesure et de longues discussions avec l’équipe pédagogique au grand complet (dans notre cas équipe très disponible, très à l’écoute, très constructive dans son approche), nous avons finalement estimé qu’un changement de classe supplémentaire ne ferait que lui compliquer la tâche au moment où il commençait à se faire des copains et à se débloquer un peu, alors nous avons tenu bon et lui aussi.
Sept mois après, le bilan commence (enfin !) à être vraiment positif, parce qu’aujourd’hui il va bien et qu’il a effectivement un cerveau tout frais et malléable qui fait des tas de nouveaux neurones tous les jours et qui emmagasine les mots comme il avalerait des fraises tagada. Il nous bluffe par son accent absolument parfait, et je ne me lasse pas de l’entendre à nouveau rire. Il communique avec sa maîtresse, en anglais, et apprend à nouveau avec plaisir et fierté. Il n’est plus interdit à la maison de lui apprendre de nouveaux mots, nous lisons parfois des histoires en anglais, bref il commence à s’amuser avec et nous à souffler un peu. Alors oui, il continue à dire qu’il est nul, mais c’est parce qu’il se compare au niveau linguistique de sa maîtresse maintenant, on réglera ça plus tard… Et en chinois, il se débrouille remarquablement bien avec ses seulement deux heures de cours par semaine. Je crois qu’en fait pour Beauté Brune la formule « cours » convient mieux que l’immersion, ça lui laisse le temps de progresser en gardant une certaine maîtrise sur son apprentissage. Maintenant on le sait, mais de ça la boule de cristal avait oublié de nous parler.
Alors ne vous effrayez pas braves gens, tout n’est pas noir ou gris au pays du bi- ou du tri-linguisme, loin de là. Beauté Blonde qui reçoit un enseignement exclusivement en anglais et en chinois vit ça avec un bonheur aussi solaire que son frère l’a vécu douloureusement. A deux ans c’est visiblement plus facile qu’à cinq… Il commence à parler anglais à l’école, nous montre chaque jour qu’il ne confond pas les langues et qu’il comprend qu’il existe des équivalences de mots en français-anglais-chinois. Il navigue dans tout ça avec une facilité déconcertante, et nous commençons à nous dire qu’à la fin, notre expatriation leur aura effectivement offert une chance unique d’apprendre des langues étrangères. Même si ce fut loin d’être aussi facile et sans douleur qu’on l’avait imaginé.
La bonne nouvelle (pour les nouveaux arrivants) dans tout cela, c’est qu’à partir de la rentrée 2015 le LFS va modifier l’organisation de l’enseignement des langues pour permettre aux enfants qui ne parlent pas encore anglais d’intégrer cette compétence linguistique de manière plus graduelle que par l’immersion.
Et l’autre très bonne nouvelle, la seule qui compte à vrai dire, c’est que Beauté Brune est heureux à l’école, et dans les starting blocks pour le CP. Lequel se fera probablement en section bilingue, mais j’espère en douceur cette fois.
Oh lalalalalala, je m’apprête à inscrire mon fils qui ressemble étrangement au vôtre sur bien des aspects en section bilingue. Votre post génère en moi une énooooorme angoisse. Rassurez-vous, il y a des moment dans ma vie où je suis zen ;-)) C’est juste un hasard si cette semaine je suis un tantinet stressée 😉
A ce qu’il semble c’est quand même lui qui a tiré le numéro le plus pourri à la loterie, aucun des autres enfants de sa classe n’était à ce point en difficulté avec l’idée de ne pas tout maîtriser (et encore une fois, il n’y avait pas que l’anglais, qui a plus servi de révélateur que de cause unique). Et l’année prochaine ils remodèlent l’enseignement des langues pour éviter justement que certains enfants soient en difficulté comme ça, ils apprennent de leurs erreurs donc tout espoir est permis pour vos enfants…
Youpiiiiii ! …. Chouette !!!! …. Enfin ! …. Alleluia !!! ….Merci, merci ! Mais au fait, , merci qui ? les divinités, le temps, la maturité, la patience, et plus encore !!
Beauté Brune va mieux, ne se sent plus mal dans ses apprentissages ! et enfin les parents peuvent aller mieux aussi et respirer sereinement ….. Aaaaaahhhhhh…. Profitez et continuez sur cette belle lancée.
Bisousss à vous 4
Ah oui, on l’a attendue longtemps cette amélioration mais cette fois je crois qu’on y est bien. Hourra, vive lui !
Il faut profiter d’apprendre plusieurs langues à nos enfants qui sont encore jeune parce que plus tard, l’apprentissage va être beaucoup plus longue et difficile. En tout cas, super article!