Dans les pas du Père Huc en Chine, en Tartarie et au Thibet

Il y a eu un avant et un après Grand Bond. Dans notre vie quotidienne d’abord, dans mon appréhension de la Chine, dans notre rythme de vie, mais aussi très radicalement dans mes lectures. Avant le départ, j’ai dévoré boulimiquement nombre d’ouvrages sur la Chine, sa culture, son histoire ou les gens qui l’ont traversée. Je n’en avais ni savais jamais assez à mon goût sur notre futur pays d’accueil. Non seulement je les ai lu mais j’en ai même fait ici des comptes rendus au ton plus ou moins sérieux (plutôt moins que plus). Et la baisse brutale de mon rythme de lecture faisait planer sur la rubrique « histoires et petites histoires » un risque intolérable de deshérence.

Tellement intolérable qu’il faut que j’y remédie derechef en vous parlant des tribulations du père Huc au travers de l’Empire du Milieu, ouvrage dont j’avais entamé la lecture dans l’A380 pour Shanghai pour ne la terminer qu’il y a peu. J’ai pourtant trouvé ça passionnant, mais la bataille fait rage actuellement pour répartir mon temps de neurones disponibles entre la mise en place du travail, l’apprentissage du mandarin, les sollicitations constantes des enfants, les vicissitudes du quotidien et des temps de lecture récréative. La lecture récréative a très nettement le dessous, alors que le père Huc nous emmène dans un véritable roman d’aventure :

Au mois de février 1839, Monseigneur de Quelen nous imposa les mains, et nous dit au nom de Jésus-Christ : allez, et enseignez toutes les nations.

Ce sont ces paroles fortes qui lancent le père jésuite Evariste Huc, et son compagnon le père Gabet, sur la route de la Chine et de la mission qui l’y attend. Mission au sens évangélique évidemment, dans un pays interdit aux missionnaires catholiques depuis quelques années et où les chrétiens avaient intérêt à se faire discrets. C’est dire l’énergie qui animait ces deux hommes partis avec quelques cartes, leur bible, leur courage et d’un peu d’argent dans une aventure de plusieurs années à pied et en chameau à travers la Chine, la Tartarie (Mongolie) et le Thibet (en orthographe originale dans le texte).

Partis du Havre en 1839 en direction de Macao, Canton puis Pékin, ils ne reviendront en France qu’en 1852 après un long et périlleux périple. Et des notes prises pendant le voyage naîtra « Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine », volumineux mais follement intéressant ouvrage de voyage dans les confins d’une Chine aujourd’hui disparue. Tout ce qui manquait en talent d’observation et d’écriture au seigneur Marco Polo a été donné à l’attachant (et incroyablement cultivé) père Huc et on suit leurs (mes)aventures avec intérêt et même un certain suspense.

Jusqu’à environ la moitié de l’ouvrage, j’ai même cru que j’allais enfin me réconcilier intérieurement avec les disciples de la compagnie de Jésus : courageux, généreux, humain, ouvert à la culture de l’autre, observateur, cultivé, intelligent, le père Huc semble vraiment combiner tout ce que l’on peut attendre d’un homme de foi. Durant son voyage, il décide de faire les choses « à la Tartare » et de s’habiller en lama. Pour passer inaperçu aux yeux des mandarins, mais aussi se distinguer des tartares séculiers et mieux prêcher l’évangile en s’appuyant sur le respect qu’inspire l’habit des lamas, la « vraie » foi n’empêchant pas un certain pragmatisme teinté d’une pointe de ruse. Partout où ils vont ils se feront appeler non sans une certaine malice « les lamas de l’Occident », mais d’un occident évidemment un peu plus à l’ouest que le Tibet.

Là où le père Huc m’a littéralement embarquée avec lui c’est dans la description de l’épopée qu’il effectue avec ses deux compagnons. Apprenant le chinois, le tartare, puis le tibétain, marchant ou chevauchant longuement, dormant sous une tente dans les steppes glacées, affrontant des bandits, de vils et veules mandarins, surmontant les éléments hostiles, les fleuves en crue, les pics enneigés, il force l’admiration par la constance de la foi en sa mission et par son courage physique et moral. Et sa sincère sympathie pour les tartares, les tibétains et leur culture, tout comme son talent d’écriture le rend éminemment attachant.

Il nous surprend d’autant plus lorsqu’il juge avec une cinglante sévérité le peuple chinois qu’il décrit systématiquement comme des envahisseurs sournois et retors, intéressés uniquement par l’argent, manquant « d’énergie de caractère ». Il les perçoit et décrit partout comme un « peuple de marchands, au coeur sec et cupide », fourrant rapidement dans un même sac péjoratif quelques centaines de millions d’individus pour mieux s’étonner que certains d’entre eux aient tout de même des qualités humaines. Au fil de son voyage, peut-être gagné par la fatigue ou le mal du pays, il émet également quelques jugements péjoratifs à l’égard des tartares et tibétains : naïfs et enfants, dépensant leur argent sans parvenir à le gérer, ils sont un peuple attachant mais nécessitant d’être éclairé par les bons soins (et la bonne parole) de plus adultes qu’eux. C’est à dire des bons prêtres chrétiens évidemment. Le père Huc était un bon homme, mais de son époque.

Car c’est bien sur la question de la religion qu’achoppent l’ouverture d’esprit et l’acceptation de l’autre de nos pourtant bien attachants pères jésuites. Pour décrire le bouddhisme, le père Huc n’y va pas par quatre chemin : religion « vaine et menteuse », ne pouvant susciter une vraie foi, s’appuyant sur des enseignements incohérents, formant un « culte menteur et impie »… A ses yeux les lamas sont des prestidigitateurs cupides abusant de la crédulité des masses. Les seuls éléments du bouddhisme qui trouvent grâce à ses yeux, notamment les rites fastueux, sont attribués à l’influence supposée du rite romain. Voit-il quelque chose de juste dans l’enseignement de Djé Tsong Khapa ? Il l’attribue à l’idée saugrenue que ce maître tibétain les tiendraient d’un maître spirituel chrétien. Il existe une prophétie d’invasion du Tibet par les chinois ? Il en rit comme d’une fadaise. Et évidemment, arrivé au but de son voyage il se réjouit hautement d’être autorisé par le régent à enseigner la foi chrétienne à Lhassa. Lorsque le mandarin chinois de Lhassa se plaint de cette liberté qui leur est accordée, le régent tibétain répond avec flegme : si leur enseignement est erroné, les gens le rejetterons, et s’il est juste qu’avons nous à craindre de la vérité ? Les pères Huc et Gabet ne doutaient pas que leur foi vraie et pure et l’emporterai sur toutes les autres, mais ils n’avaient pas compté avec le méchant mandarin et ses fourbes manoeuvres…

Cette histoire véridique est digne d’un roman, n’y manquent ni suspense ni méchants très méchants, ni rebondissements, ni dangers pour les héros. Et au bout de ce périlleux périple où ils faillirent perdre plusieurs fois la vie, je me suis finalement retrouvée soulagée de les savoir rentrés à bon port. Une lectrice heureuse en somme. Et si ce livre ne m’éclaire guère sur ce qu’est la Chine d’aujourd’hui, je me vois bien en train de me replonger dans ce voyage exotique en relisant les souvenirs du père Huc au coin d’un bon feu dans une campagne française.

Voilà donc pour mon initiation et la vôtre aux voyages des pères jésuites au pays de Cathay. Et maintenant à nous deux Matteo Ricci !

 

A lire : Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine, par Evariste Huc.

Crédit photo : RMABA (Rocky Mountain Antiquarian Booksellers association) 

PereHuc

 

2 Comments

  1. Je ne pense pas être la seule à n’avoir jamais entendu parler du Père Huc …. Ses descendants, s’il y en a, vont t »en être éternellement reconnaissante :+))
    Merci à toi de partager tes découvertes !!!!.
    bises

    • Honnêtement, avant que mon amie Wonder Sage-Femme ne m’en ait elle-même parlé, j’ignorais moi-même totalement l’existence de ce brave Père Huc… Voilà ce que c’est que d’avoir des copines qui ont arpenté le Tibet et ont eu des lectures intelligentes pour meubler leurs longues heures de train au travers de la Chine, ça ouvre la voie à de jolies découvertes littéraires…
      Quant aux descendants du Père Huc, gageons qu’ils ne seront que spirituels 😉
      Bisous !

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